Cours

Cours de Première ES : 2. NVX prog 2019 - REGARDS CROISES Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ?

Question 3. Le cycle de vie des entreprises du point de vue de leurs activités collectives

Découverte

Document 1. Le chef d’entreprise : une figure nouvelle

A côté du contrat de travail, la naissance du « chef d’entreprise » est aussi une manifestation caractéristique de l’entreprise. Personnage pour le moins singulier que ce chef d’entreprise, impossible à classer dans les catégories classiques : ce n’est ni un capitaliste, ni un inventeur, ni même un entrepreneur. C’est d’abord un « employeur », auquel la loi reconnaît, en corollaire du contrat de travail, des pouvoirs de direction vis-à-vis des travailleurs. Mais c’est aussi un personnage dont le pouvoir l’emporte rapidement sur celui des associés-actionnaires. Adolf Berle, un juriste, décrit avec l’économiste Gardiner Means cette révolution provoquée par de la « modern corporation (*) ». Dans l’entreprise, les actionnaires, qui étaient dans les sociétés commerciales de véritables associés et souvent des administrateurs, apparaissent davantage comme des « fournisseurs de capitaux » que comme véritables « membres » du collectif. Berle et Means montrent que, dans la plupart des grandes sociétés américaines, aucun des actionnaires n’a suffisamment d’actions pour peser réellement sur les décisions stratégiques de l’entreprise. Mais la dilution de chaque actionnaire n’explique qu’en partie cette révolution. C’est aussi que la direction des « entreprise » du début du Xxème siècle (que l’on commence d’ailleurs à qualifier de « grandes » entreprises) n’est plus celle des sociétés commerciales. 

Si les propriétaires du capital incarnaient hier le pouvoir patronal légitime, les compétences requises pour organiser la dynamique de création industrielle ne sont plus celle des administrateurs de sociétés. Hormis quelques investisseurs-entrepreneurs, les actionnaires délèguent volontiers la direction aux hommes de terrain, souvent des ingénieurs, plus compétents, qui se consacrent à plein temps à l’entreprise. Cette délégation était prévue en France dans la loi de 1867, mais elle n’allait pas de soi : si l’on désigne un « étranger » (c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas actionnaire) comme directeur, c’est -selon un commentateur de l’époque- pour ne pas priver la société anonyme « du concours d’une personne étrangère dont les lumières et les aptitudes spéciales peuvent être l’instrument de sa fortune ».

 

(*) A. Berle et G. Means, The Modern Corporation and Private Property, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers, 1932.

Source : Blanche Segrestin, Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil, 2012.

 

Questions

1. Quelles sont les qualités que la loi reconnait historiquement au « chef d’entreprise » ?

2. L’entreprise décrite par A. Berle et G. Means insiste-t-elle sur le pouvoir des actionnaires dans les décisions stratégiques ?

Document 2. Le chef d’entreprise : une mission créatrice

Henri Fayol, le père de la nouvelle science administrative, est l’un des premiers ingénieurs en France à accéder à la direction d’une grande entreprise, sans être ni actionnaire ni fondateur de la société. Ses rapports toujours conflictuels avec les actionnaires montrent combien la direction d’une entreprise ne coïncide pas nécessairement avec celle de la société (…) Henri Fayol est plus qu’un grand dirigeant. Il est le premier à réfléchir et à mettre des mots sur la nouvelle mission des dirigeants d’entreprise. Comme il le montrera lui-même dans son célèbre ouvrage Administration industrielle et générale, « l’administration » concerne tout le processus d’organisation des hommes et de gestion des ressources qui permet le bon fonctionnement des entreprises. Pour Fayol, l’action collective suppose que les activités individuelles soient ordonnées autour d’une même logique. « Administrer », c’est prévoir, organiser, constituer le corps social et commander. Le développement ultérieur des techniques de gestion (ou de « management » dans le vocabulaire contemporain) viendra fournir l’outillage qu’exige la mise en œuvre de ces grands principes.

Mais la mission du chef d’entreprise se démarque de celle des patrons traditionnels parce qu’elle est avant tout créatrice. Les dirigeants doivent inventer un nouvel usage des ressources disponibles. Ils ne sont pas appelés pour exécuter un plan déterminé, mais pour proposer des stratégies jusqu’alors inconnues de leurs mandants. A la fin du XIXème siècle, face à la dépression qu’accusent de nombreux secteurs industriels, on attend d’eux qu’ils améliorent la qualité des produits, renforcent la productivité, diversifient les marchés, voire réorientent complètement l’outil productif. Et c’est finalement à l’aune des capacités d’une entreprise à innover que sont évaluées les qualités de son dirigeant.

    Blanche Segrestin, Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil, 2012.

Questions

1. Expliquer le passage souligné dans le texte.

2. Expliquer le titre du document.

Document 3. Caractéristiques principales des profils des créateurs d’entreprises en 2014

Question

Quelles sont les informations principales que l’on peut tirer de ce document sur le profil des créateurs d’entreprises selon l’enquête SINE de l’INSEE ?

Document 4. L’entrepreneur comme agent du changement

C’est à Joseph Schumpeter (1883-1950) qu’il revient d’avoir donné à l’entrepreneur cette place devenue mythique dans le développement du capitalisme en l’identifiant à la fonction d’innovation. L’entrepreneur « schumpétérien » est en effet un esprit, une fonction plus qu’une personne que l’on pourrait identifier. Cette fonction est de rompre le « flux circulaire » en détournant les facteurs de production des usages anciens vers des nouveaux. Il rompt cette routine grâce au crédit puisqu’il est « d’abord débiteur avant de devenir entrepreneur » ce qui lui permet de diriger le capital hors de son usage établi (reproduction du système à l’identique) pour l’affecter à de nouvelles combinaisons productives (technique, organisation, gestion). L’entrepreneur est donc celui dont l’existence fait que le changement vient de l’intérieur du processus économique dans une dynamique endogène. Il ne s’adapte pas à un environnement (qui lui donnerait ses facteurs et absorberait ses produits) comme le croit la théorie néo-classique mais c’est lui qui au contraire, par son intervention, le façonne (en modifiant les techniques de production et les préférences des consommateurs). La fonction de l’entrepreneur est donc uniquement d’innover. Celui qui l’incarne peut être un employé dépendant ou n’avoir qu’un lien éphémère avec l’exploitation (de la firme) puisqu’il n’agit que pour donner à celle-ci sa nouvelle forme (à ce titre, il peut être financier, fondateur, spécialiste du droit financier ou technicien). Mais tout travailleur indépendant n’est pas non plus entrepreneur. Enfin, L’entrepreneur n’est pas le capitaliste et, de ce fait, ne supporte pas les risques financiers (le risque est assumé par le prêteur ou le banquier). Il n’est pas non plus le directeur d’exploitation (en effet, dans une économie « circulaire », c’est-à-dire qui se reproduit à l’identique malgré sa croissance, il n’y a pas d’innovation et il ne peut donc y avoir d’entrepreneur). Si l’entrepreneur peut apparaître à d’autres époques, c’est le développement du capitalisme qui permet d’isoler cette fonction des autres au fil du temps (d’où le problème de sa perception chez les classiques) mais si cette fonction se distingue rarement en pratique. L’identification de l’entrepreneur est d’autant plus difficile qu’il perd son caractère dès qu’il se transforme en gestionnaire de son innovation (…) Les entrepreneurs ne peuvent constituer en conséquence une classe sociale et la seule position sociale qu’ils peuvent conquérir est celle du propriétaire foncier ou du capitaliste. 

Source : Jean-Pierre Biasutti, Laurent Braquet, Comprendre l’entreprise, Ellipses, 2013.

Questions

1. Quel est le rôle d’un entrepreneur-innovateur ?

2. Quelles peuvent être les autres fonctions de l’entrepreneur ?

Document 5. Les diverses ressources de l’entrepreneur

Question

Résumer dans le tableau suivant les diverses ressources sur lesquelles l’entrepreneur peut s’appuyer pour développer son activité.

Document 6. L’organisation du travail

Dès les travaux d’A. Smith (1723-1790)), les choix organisationnels de l’entreprise sont un facteur central de son efficacité. Le fameux exemple de la manufacture d’épingles montre comment l’augmentation de la productivité provient de la division du travail entre plusieurs agents : la succession d’étapes et de postes de travail entre lesquels s’organise le processus de production. Les choix d’organisation faits par l’entreprise ont des effets sur le plan micro-économique, en rendant une entreprise plus ou moins compétitive, mais aussi sur le plan macroéconomique, dans la mesure où les choix d’organisation du travail sont un facteur de croissance.

La relation entre organisation de l’entreprise, division du travail et performances économiques a été mise en avant par de nombreux économistes au cours du XIXème siècle, mais on attribue à F. W. Taylor (1856-1915) le lancement de l’étude scientifique de la division du travail, afin d’en augmenter l’efficacité. Taylor était ingénieur de formation, et pensait que les ouvriers tendaient à manquer d’efficacité en raison d’une « flânerie systématique » quand l’organisation du travail dépend de leur initiative. En même temps, F. W. Taylor veut réduire la résistance collective du groupe, en assignant à chacun un poste individuel plutôt que de s’organiser en commun. Il s’agit de mettre en place une organisation scientifique du travail (OST), basée sur les principes suivants :

  • – une étude systématique du travail des meilleurs ouvriers, pour découvrir le « one best way », la meilleure séquence de gestes à réaliser, dans un temps donné  ;
  • – cette séquence est ensuite divisée en plusieurs mouvements élémentaires, qui peuvent constituer différents postes de travail : la nouvelle organisation du travail entraîne souvent une parcellisation des tâches, c’est-à-dire une réduction du travail à une série de gestes répétitifs ;
  • – les bonnes séquences sont ensuite enseignées aux ouvriers, et un système de contrôle et de chronométrage strict est mis en place, et peut s’accompagner d’incitations salariales (salaire aux pièces) ;
  • – l’adoption de l’OST induit non seulement une division horizontale du travail entre les ouvriers, mais aussi une nouvelle division verticale du travail entre les ingénieurs, qui conçoivent l’organisation du travail, les ouvriers qui l’exécutent et le groupe intermédiaire des contrôleurs. Si l’OST a été théorisé par F. W. Taylor dès les années 1880, elle se diffuse lentement, en particulier en France où les méthodes de Taylor sont adoptées progressivement durant l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, le taylorisme n’a pas disparu : il continue à s’appliquer non seulement dans l’industrie mais s’applique également dans de nombreux services, comme la restauration rapide, la banque ou le marketing direct, ainsi que de nombreux services aux entreprises.
Source : Christine Dollo et alii, Aide-Mémoire d’économie, Dalloz, 2016.

Question

En quoi la logique taylorienne existe-t-elle à la fois dans l’industrie et dans les services ?

Document 7. Les critiques du taylorisme

De nombreuses critiques se sont élevées contre les principes tayloriens, elles ont alimenté les débats sur l’organisation de l’entreprise. On peut citer plusieurs exemples.

– L’école psycho-sociologique des relations humaines de E. Mayo (1880-1949) s’est attachée à montrer que la motivation des salariés ne reposait pas uniquement sur des incitations matérielles, mais aussi sur des objectifs symboliques (comme la réalisation de soi). Par conséquent, l’organisation taylorienne risque de perdre son efficacité en raison de la monotonie du travail qu’elle entraîne.

– Certaines formes d’organisations du travail présentent des alternatives au taylorisme, par exemple le « toyotisme » ou « ohnisme », en référence aux méthodes proposées par T. Ohno (1912-1990) alors qu’il dirigeait Toyota. Il s’agit d’intégrer les employés dans des équipes autonomes, plutôt que de les isoler le long d’une chaîne de travail. De plus, les commandes ne sont plus fixées par la direction, mais décidées de l’aval vers l’amont de la production par les équipes concernées, selon leurs besoins. L’objectif est d’éviter les stocks et les coûts afférents. On parle de production en flux tendus ou « juste à temps ». Enfin, la polyvalence des salariés est recherchée, ainsi que le contrôle de la qualité du travail par les équipes, l’objectif étant de diminuer les coûts liés aux dysfonctionnements du processus productif, en impliquant davantage les employés.

– De nombreuses théories du management se sont appuyées sur la critique du taylorisme, comme par exemple la « direction par objectifs » de P. Drucker, pour qui la fixation d’objectifs clairs et cohérents aux salariés, en leur laissant prendre des initiatives pour y parvenir, permet de mieux les impliquer dans leur travail et d’augmenter ainsi leur productivité. La diffusion du taylorisme a fait l’objet de vives résistances de la part du mouvement ouvrier, en raison de la dégradation des conditions de travail qu’il implique, et d’une critique de la part d’un certain nombre de sociologues (par exemple G. Friedmann (1905-1977), Le travail en miettes, 1956).

Source : Christine Dollo et alii, Aide-Mémoire d’économie, Dalloz, 2016.

Question

Résumer les critiques qui ont été faites au taylorisme.

Document 8. Les différentes stratégies de l’entreprise

Une entreprise est une structure qui se positionne sur des marchés en perpétuels mouvements. En fonction du contexte, l’entreprise est amenée à déterminer ses axes de développement et les moyens lui permettant de suivre les orientations stratégiques retenues (…)

L’entreprise dispose de 3 choix principaux pour poursuivre le développement de ses activités :

  • Elle peut tout d’abord décider de miser sur la croissance de celles-ci ;
  • De maintenir une ou plusieurs activités à leur niveau actuel, et donc d’essayer de stabiliser l’entreprise ;
  • Ou elle peut décider d’abandonner certaines activités pour se recentrer sur d’autres.

Pour mettre en œuvre ces axes de développement, il faut adopter une stratégie et déterminer les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.

La stratégie de l’entreprise, pour répondre aux axes de développement qui ont été fixés, doit permettre à celle-ci de chercher à se procurer des avantages concurrentiels par rapport aux autres entités du secteur.

Les principales stratégies d’entreprise sont les suivantes :

  • La stratégie de domination par les coûts,
  • La stratégie d’innovation et de technologie,
  • La stratégie de différenciation,
  • Les stratégies de coopération.
Source : Le coin des entrepreneurs, mai 2019.

Questions

1. Expliquez la première phrase du texte

2. Expliquez chacune des stratégies citées à la fin du texte dans le tableau suivant :

Document 9. Les firmes multinationales dans la compétition marchande : l’internationalisation de la chaîne de valeur des firmes multinationales

La libéralisation du commerce international, la réduction des coûts de transport et la convergence des modes de consommation à l’échelle internationale ont permis une nouvelle répartition des activités des firmes multinationales selon une conception mondialisée de leurs opérations et de leurs marchés. Les stratégies des firmes globales sont définies par la maison mère dont la direction cherche à unifier la gamme des produits sur le marché mondial (comme pour l’iPhone d’Apple), recourt directement aux marchés des capitaux mondialisés pour son financement, mais décide de la localisation de sa production en fonction des avantages compétitifs de chaque territoire. L’internationalisation de la chaîne de valeur désigne alors la décomposition du processus de production d’un bien en plusieurs opérations prises en charge par des unités de production implantées dans différents pays. En s’appuyant sur la baisse des coûts de transport (avions, bateaux porte-conteneurs…) et de communication, mais aussi sur les entreprises de logistique, cette globalisation de la production a ainsi permis aux firmes multinationales de découper en différentes tranches leurs activités afin de maximiser la valeur ajoutée sur chacune d’entre elle. Depuis une dizaine d’années, les firmes globales ont conclu des contrats de sous-traitance avec des firmes indépendantes situées dans les pays émergents, qui bénéficient d’un réservoir de main-d’œuvre qualifiée à faible niveau de rémunération (comme l’américain Apple avec les entreprises taïwanaises Foxconn et Quanta). Le but de ce type de stratégie est de limiter le montant des capitaux immobilisés pour les donneurs d’ordres, d’optimiser les coûts par la mise en concurrence des sous-traitants et d’augmenter l’utilisation de composants standardisés et l’échelle de fabrication, ce qui permet des baisses de prix et une meilleure compétitivité.

Depuis les années 1980, les firmes multinationales ont ainsi mené des stratégies de délocalisations : les délocalisations peuvent être définies comme un transfert d’activités économiques du territoire national vers un pays étranger afin de réimporter sur le territoire national l’essentiel des biens produits ou de servir les mêmes marchés, via un investissement direct à l’étranger (IDE). Sont assimilés à des délocalisations (mais sans investissements) les accords de sous-traitance avec une entreprise étrangère (offshore outsourcing) ou l’octroi d’une licence à cette entreprise quand cela a eu pour effet de substituer une production étrangère à une production nationale.

Les firmes multinationales franchissent ainsi toutes les étapes pour produire un produit ou un service, et le livrer au client, depuis la conception jusqu’à l’utilisation finale, dans le cadre d’une stratégie d’emblée conçue à l’échelle mondiale. Ces étapes comprennent des activités comme la recherche et la conception, la production, le marketing, la distribution et l’appui au consommateur final. Ce phénomène est étroitement lié au développement des réseaux mondiaux de production : il se traduit donc par une fragmentation physique du processus de production, dont les différentes étapes sont réalisées en des lieux distincts, suivant une logique d’optimisation, les entreprises ayant intérêt à se tourner davantage vers des sources d’approvisionnement internationales pour leurs consommations intermédiaires en fonction des coûts comparés. Cette internationalisation de la chaîne de valeur entraîne une polarisation toujours plus forte des espaces productifs au sein de l’économie mondiale, en raison de la concentration des activités productives (pour réduire les coûts, gagner en flexibilité, faire circuler l’information plus facilement dans le cadre de districts industriels, et profiter d’un cadre de vie agréable adapté aux cadres très qualifiés des classes moyennes supérieures), et d’un clivage substantiel et grandissant entre les grands centres urbains favorisés et les périphéries des villes.

Source : Melchior, 2019.

Questions

1. En quoi l’iPhone d’Apple illustre-t-il l’internationalisation de la chaîne de valeur ?

2. Quels ont été les moteurs de l’internationalisation de la chaîne de valeur ?

3. Quels peuvent être les avantages d’une telle stratégie pour une firme multinationale qui cherche à améliorer sa compétitivité ?

Approfondissement

Cours

Les figures de l’entrepreneur

L’entrepreneur est un personnage clé du capitalisme. L’histoire de l’économie de marché depuis les prémisses de la révolution industrielle au XVIIIème siècle est d’abord émaillée d’entrepreneurs de légende. Du barbier perruquier Richard Arkwright, qui se lance dans la filature dans les années 1760 à Steve Jobs d’Apple, Mark Zuckerberg de Facebook ou Elon Musk de Tesla aujourd’hui, les success stories se succèdent depuis trois siècles, et les grandes entreprises ont longtemps porté le nom de leur illustre créateur à l’instar de Ford, Peugeot, Tata, etc. L’analyse retient pour cerner ce personnage légendaire les diverses fonctions de l’entreprise moderne : tantôt le financier, tantôt l’innovateur, tantôt le gestionnaire avisé se succèdent pour incarner le personnage de l’entrepreneur. Preneur de risques ? Faiseur de projets ? Révolutionnaire de l’économie ? Découvreur d’opportunités de profits sur les marchés ? Les qualités dominantes du chef d’entreprise font encore débat de nos jours.

Mais on considère souvent le chef d’entreprise comme le personnage qui porte le risque (en s’endettant notamment), investit, met en œuvre les innovations et révolutionne la production pour créer de nouvelles méthodes de production, et lancer de nouveaux biens et services sur les marchés.

Dans une économie de marché de libre concurrence, l’entrepreneur est guidé par le profit monétaire, c’est-à-dire par la différence entre le coût des ressources (y compris le coût d’opportunité du capital utilisé) et le prix de sa production. L’activité entrepreneuriale consiste à capturer des profits monétaires qui étaient restés inaperçus jusqu’alors. Le profit joue aussi un rôle incitatif très important dans l’économie de marché.

 

Mais si le rôle de l'entrepreneur peut apparaître déterminant dans la phase de démarrage de l’entreprise puis au cours de son développement, celle-ci reste une aventure collective (une volonté de s’associer, un affectio societatis), dont la réussite repose également sur un environnement et des institutions plus ou moins favorable à l’entrepreneuriat : moyens financiers (personnels, familiaux, bancaires), poids des institutions (famille, État et grandes entreprises), ressources scientifiques et techniques, état de la société (revenu, goûts des consommateurs, infrastructures), ou réglementations plus ou moins favorables à la libre entreprise.

De surcroît, l’activité entrepreneuriale contribue à la coordination des activités économiques : au final, la fonction entrepreneuriale est indispensable à l’accroissement de la productivité des facteurs de production et elle est en cela un élément fondamental de la croissance économique.

Mais l’entrepreneur a aussi d’autres fonctions : il peut être un actionnaire au sens où, en tant que propriétaire du capital, il apporte des capitaux indispensables au lancement de l’entreprise en assumant le risque, et il peut avoir également une fonction de management lorsqu’il faut prendre des décisions relatives à l’organisation de l’entreprise, à ses projets, à son développement.

 

L’entrepreneur dans la théorie économique

Dans les écrits des auteurs précurseurs de l’économie, entre la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle, comme Adam Smith ou David Ricardo, les entrepreneurs sont issus des deux classes sociales qui détiennent le capital : les capitalistes ou les propriétaires fonciers. L’entrepreneur est donc un simple rouage dans les structures économiques, et l’analyse des phénomènes globaux est privilégiée, comme les rouages de la croissance ou ceux de la crise économique. Certains économistes du XIXe siècle, comme Karl Marx, ont analysé le comportement de l’entrepreneur (ou du capitaliste) en le replaçant dans un cadre social plus général, qui est celui de la société capitaliste. Pour autant, Marx préfère le terme de « capitaliste » pour le désigner. Son analyse met en évidence la propriété privée des moyens de production et la nécessité de faire du profit. Pour Marx, l’entrepreneur n’existe que parce que la société capitaliste lui permet d’exister. Cette société est basée sur le profit maximum. L’entrepreneur ne peut exister sans s’enrichir, au risque sinon de la faillite. Pour cela, il doit sans cesse « révolutionner » les moyens de production et l’innovation devient un levier de la concurrence. Selon Marx, en favorisant la croissance des firmes, la concurrence favorise la socialisation de la production, qui nécessitera au final une transformation révolutionnaire des sociétés pour faire coïncider le régime de propriété avec la production collective. Ainsi se dissout l’entrepreneur, en même temps que la société capitaliste.

 

Paradoxalement, la théorie économique néoclassique à partir de la fin du XIXème siècle ne laisse que peu de place à l’entrepreneur (on évoque simplement « l’équilibre du producteur »). Dans ce cadre, l’entrepreneur est celui qui permet d’articuler le marché des facteurs de production à celui des produits dans l’équilibre général, mais ce rôle n’est pas vraiment théorisé. L’entrepreneur dans la théorie néoclassique n’est pas un individu exceptionnel, qui se distinguerait par des facultés spécifiques : son rôle d’intermédiaire entre des marchés, du travail, des biens et services est reconnu, mais il est difficile d’établir sa contribution à la création de richesse.

Pour John Maynard Keynes (1883-1946), en revanche, les entrepreneurs favorisent par leurs comportements peureux et moutonniers (Keynes évoque des « esprits animaux » ou les « esprits déréglés des milieux d’affaires ») la diffusion des crises économiques. L’entrepreneur renvoie donc plutôt, chez lui, à un concept collectif en liaison avec le principe de la demande anticipée. Marginal dans l’analyse néoclassique dominante, l’entrepreneur va pourtant apparaître chez quelques économistes comme un être exceptionnel, mû par des mobiles originaux et des capacités hors du commun, un inlassable preneur de risques dans la concurrence.

 

L’entrepreneur innovateur

C'est à l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) qu’il revient d’avoir donné à l’entrepreneur cette place devenue mythique dans le développement du capitalisme, en l’identifiant à la fonction d’innovation. L’entrepreneur « schumpetérien » est en effet un esprit, une fonction plus qu’une personne que l’on pourrait identifier. Cette fonction est de rompre le « flux circulaire » (la routine) en détournant les facteurs de production des usages anciens vers de nouvelles combinaisons productives. Il rompt cette routine grâce au crédit des banques, ce qui lui permet de diriger le capital hors de son usage établi (reproduction du système à l’identique) pour l’affecter à de nouvelles combinaisons productives (technique, organisation, gestion). L’entrepreneur est donc celui dont l’existence fait que le changement vient de l’intérieur du processus économique, dans une dynamique endogène. Il ne s’adapte pas à un environnement, comme l’expose la théorie néoclassique, mais c’est lui qui, au contraire, par son intervention, façonne les structures économiques en modifiant les techniques de production et les préférences des consommateurs. La fonction de l’entrepreneur, selon Schumpeter, est donc uniquement d’innover : l’entrepreneur est ce personnage hors du commun, au cœur des déséquilibres économiques et du processus de « destruction créatrice » qui révolutionne perpétuellement les structures du capitalisme. Pour Schumpeter, l’entrepreneur est pourtant destiné à disparaître et le capitalisme entrepreneurial avec lui. C’est la thèse qu’il développe dans son ouvrage Capitalisme, Socialisme et démocratie (1942). La routinisation de l’activité d’innovation (travail d’équipe et de laboratoire), la diminution des résistances à l’innovation dans des sociétés habituées à innover (et qui n’ont plus besoin d’être domptées par l’entrepreneur) font que le progrès technique tend à se bureaucratiser dans les grandes entreprises, et Schumpeter annonce alors le « crépuscule de la fonction d’entrepreneur ». Il est donc pessimiste sur l’évolution du capitalisme de libre entreprise.

 

L’entrepreneur, un acteur central de l’économie

Dans l’actualité économique, les créateurs d’entreprise sont souvent cités comme un moteur crucial de l’innovation, de la croissance et de l’emploi, surtout dans les pays avancés. L’entrepreneur est en effet un personnage au cœur de l’économie qui assume le risque d’entreprise, la décision d’investir, et mobilise des ressources humaines, technologiques, financières, pour développer son activité. S’il subsiste des critiques sur les gains qui peuvent être réalisés par les chefs d’entreprise (les fameux salaires des « grands patrons ») et des débats sur la fiscalité des hauts revenus, les entrepreneurs conservent une image positive dans de nombreuses enquêtes. La question du « moral des patrons » est par ailleurs souvent évoquée comme indicateur avancé de la conjoncture, et mesuré dans les différents baromètres de confiance sur la politique économique, comme celui établi par l’INSEE en France, portant sur le « climat des affaires ».

Dans une économie de marché de libre concurrence, l’entrepreneur est guidé par le profit monétaire, c’est-à-dire par la différence entre le coût des ressources (y compris le coût d’opportunité du capital utilisé) et le prix de sa production. L’activité entrepreneuriale consiste à capturer des profits monétaires qui étaient restés inaperçus jusqu’alors. Le profit joue aussi un rôle incitatif très important. De surcroît, l’activité entrepreneuriale contribue à la coordination des activités économiques.

 

Au final, la fonction entrepreneuriale est indispensable à l’accroissement de la productivité des facteurs de production et elle est en cela un élément fondamental de la croissance économique.