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Eléments de cours

 

Dans ce chapitre, nous traiterons, conformément au programme d’Economie Sociologie et Histoire du monde contemporain, des aspects historiques, économiques et sociologiques de la thématique entreprise et organisation. Nous allons présenter l'entreprise, organisation centrale de l'activité économique, mais aussi étudier plus largement l’importance des organisations, représentatives de l’évolution des sociétés contemporaines.

 

1-  Les transformations de l’entreprise depuis le XIXème siècle

Les entreprises sont à l'origine des mutations du système productif en même temps qu'elles sont transformées par les évolutions économiques et sociales. L'analyse de la place des entreprises dans les révolutions industrielles doit permettre de mettre en exergue leur rôle moteur dans l'émergence des nouveaux modes productifs.

 

A ) La protoindustrialisation et les manufactures.

Le concept de protoindustrialisation a été proposé par l’historien Franklin Mendels en 1969 pour désigner une forme d’organisation du travail et de la production en Europe du Nord-Ouest avant la révolution industrielle. La protoindustrialisation fait référence à une répartition de la production entre les villes et les campagnes. Le marchand-fabricant fournit les matières premières et confie les tâches de filage et de tissage à des familles rurales payées à la pièce. Des ateliers urbains exécutent les taches les plus qualifiées de la production. Le produit fini est souvent destiné à des marchés éloignés.

La protoindustrialisation a souvent constitué une étape vers la naissance de l’entreprise capitaliste mais ce n’est pas le seul mode de développement des entreprises. Ces protoindustries côtoient quelques manufactures : c’est le factory system. Les sources d’énergie utilisées (l’énergie fournie par la machine à vapeur ne se transporte pas) et la machinerie imposante contraignent à rassembler un nombre plus important de travailleurs sur un même lieu. Néanmoins ces grandes manufactures demeurent assez exceptionnelles et les ateliers sont encore souvent de petite taille

Au cours de la première moitié du XIXème siècle, on peut noter que l’industrialisation ne requiert pas une mobilisation importante de capitaux : l’épargne individuelle parfois augmentée de celle de quelques proches suffit à financer ces petites structures. Seuls certains secteurs comme les chemins de fer nécessitent une mobilisation plus importante de capitaux. Jusqu’en 1880, le développement industriel s’appuie donc sur ce dualisme des structures productives avec la présence d’ateliers essentiellement ruraux et d’usines.

Ce n’est qu’à partir de 1880 que la protoindustrialisation et ces petits ateliers déclinent et laissent place à des entreprises de plus grande taille.

 

B) La concentration

A partir de 1860, on assiste à un phénomène de concentration : la taille des entreprises tend à augmenter car cela permet de bénéficier d’économies d’échelle et de mettre en place une certaine division du travail source de gains de productivité. L’accroissement de la taille des entreprises implique des investissements plus importants et de nouveaux statuts juridiques se dessinent permettant d’accroître le nombre de propriétaires et la levée de fonds, c’est la création des sociétés anonymes en France en 1867. Les banques vont contribuer au financement des entreprises à partir du milieu du XIXème siècle. Le marché financier contribue également au financement de certains secteurs (les chemins de fer en particulier), la Bourse de Paris est créée en 1826. La taille des usines est fort variable selon les secteurs et les pays. La concentration est inégale dans le textile : forte dans la filature, elle est plus faible dans le tissage ; elle s’impose dans la métallurgie et la chimie

Ces phénomènes de concentrations résultent d’absorption ou de fusion. Cela permet l’apparition de groupes concentrés verticalement (les konzerns en Allemagne) ou horizontalement (trusts américains) ou de manière conglomérale (les zaibatsus au Japon). Ces grandes entreprises ne sont pas sans créer des inquiétudes comme en témoigne l’apparition des premières lois sur la concurrence aux Etats-Unis dès 1890.

 

C) La mondialisation

Les Firmes transnationales apparaissent dès le milieu du XIXème siècle. Il s’agit d’entreprises qui ont des activités de production à l’étranger. Même si le phénomène est assez ancien, il y avait peu de firmes vraiment internationales avant 1945. Elles jouent un rôle très important dans le commerce international. De nombreux investissements directs à l’étranger sont menés et révèlent l’augmentation du nombre de firmes transnationales et la mondialisation de la production. Si les IDE ont eu pendant longtemps comme pays d’origine et comme pays d’accueil des pays développés, l’attractivité des pays émergents est plus importante depuis les années 2000.

On peut distinguer les différentes phases du développement d’une FTN :

- Stratégie d’approvisionnement : les filiales implantées à l’étranger ont pour but d’alimenter la société mère en matières premières

- Stratégie commerciale et phase de la « filiale-relais » : la filiale implantée dans le pays étranger est une réplique de la société mère. L’objectif est de contourner les barrières protectionnistes et de réduire les frais de transport. La production des filiales n’est pas spécialisée, chaque filiale est un centre de profit en soi qui entretient des relations verticales avec la société mère mais pas avec les autres filiales.

- La stratégie productive et la phase de la « filiale-atelier » : l’activité des filiales se spécialise de plus en plus (dans un type de produit ou dans un tronçon de production). La FTN peut s’organiser de deux manières, soit par groupes de produits, soit par zones géographiques. La décomposition internationale des processus de production vise à tirer parti des avantages comparatifs de chaque zone géographique.

- La stratégie de développement des « activités intangibles » : l’entreprise dérive vers les activités tertiaires, elle contrôle les filiales par la technologie. Le siège s’installe dans des pays attractifs pour la fiscalité ou le taux de change…

Aujourd’hui les alliances entre entreprises transnationales donnent lieu à la mise en place de la firme réseau : il s’agit d’un ensemble d’entreprises et d’acteurs économiques divers qui sont associés pour la réalisation en commun de projets sur la base d’alliances et de partenariats. Des producteurs et des fournisseurs spécialisés s’associent mais restent juridiquement indépendants. Les relations sont contractualisées et permanentes, d’où l’appellation de réseaux.

Les FTN jouent un rôle très important dans le commerce international, les échanges intra-firmes représentent près du tiers des échanges mondiaux

Cette présentation historique nous a donc permis de prendre conscience que les entreprises sont à l'origine des mutations du système productif en même temps qu'elles sont transformées par les évolutions économiques et sociales.

 

2 -  Analyse économique de l’entreprise

L’analyse néoclassique considère l’entreprise comme une boîte noire dans laquelle entre des inputs et de laquelle sortent des outputs. Le fonctionnement interne de l’entreprise y est totalement ignoré. L’entreprise est identifiée à son homo-economicus représentatif : le producteur qui a pour seul finalité la maximisation du profit. Toutes les relations qui se créent au sein de l’entreprise sont occultées. Face à cette absence de prise en compte du fonctionnement interne de l’entreprise, de nouvelles théories de l’entreprise vont émerger.

 

A) L’entreprise dans la théorie économique

1) Les approches contractuelles de la firme.

La théorie des coûts de transaction.

Dans un articlé publié en 1937, Ronald Coase se demande « pourquoi les entreprises existent-elles ? ». Cet article vise à définir ce qu’est une firme, à déterminer les raisons de son existence ainsi que ses limites. L’intérêt de cet article ne sera mis en évidence qu’en 1970 et va constituer le point de départ des théories de la firme

La réponse de R. Coase s’organise autour des coûts de transaction du marché : l’entreprise est présentée comme une forme de coordination des activités économiques alternative au marché. La différence entre la firme et le marché est que

sur le marché la coordination se fait part un système de prix et la signature de contrats commerciaux

alors que la firme propose une coordination fondée sur l’autorité et la hiérarchie qui repose sur la signature de contrats de travail.

Chacun de ces deux modes de coordination génère des coûts différents :

la coordination par le marché se traduit par des coûts de transaction : ces coûts correspondent à des coûts liés à la recherche d’information, de négociation des contrat (ces coûts sont d’autant plus importants que les contrats sont à court terme et répétés)

la coordination par l’entreprise génère des coûts d’organisation qui sont croissants avec le nombre de transactions menées en interne.

Finalement les entreprises existent tant que les coûts d’organisation sont inférieurs aux coûts de transaction, dès que les coûts d’organisation sont supérieurs aux coûts de transactions la coordination se fera plutôt par le marché.

Williamson s’inscrit dans la lignée des travaux de Coase. Il cherche à expliquer l’origine des coûts liés au marché et au fonctionnement de l’entreprise, pour cela il introduit deux hypothèses supplémentaires sur le comportement des agents :

la rationalité limitée préalablement définie par H. Simon. Face à un environnement complexe, les individus rationnels ne peuvent envisager toutes les possibilités et toutes les conséquences de leurs choix.

L’opportunisme des agents qui est un conséquence de la rationalité limitée : face à la rationalité limitée, les contrats ne peuvent envisager l’ensemble des possibilités. L’agent est alors tenté d’adopter des comportements visant à favoriser son intérêt individuel.

Ces deux hypothèses permettent d’expliquer l’augmentation des coûts de transactions liés au fonctionnement du marché.

Ces coûts dépendent également du contexte qui est caractérisé par trois éléments :

l’incertitude qui combinée à l’hypothèse de rationalité limitée des agents conduit à une augmentation des coûts de transaction,

la spécificité des actifs, qui correspond à une spécificité des investissements et engendre des coûts irrécupérables,

La fréquence des transactions. L’augmentation de la fréquence des transactions se traduit par une augmentation des coûts de transaction.

O.E. Williamson propose de trouver la forme organisationnelle la plus adaptée c’est-à-dire celle qui permet de réduire les coûts de transaction, en fonction de ces différentes variables. Il identifie différents types de coûts de transaction :

- des coûts de transaction ex ante qui correspondent à la recherche de partenaires, à la rédaction, la négociation et la garantie d’un accord.

- des coûts de transaction ex post qui correspondent aux coûts liés à une mauvaise adaptation des contrats aux circonstances dans lesquelles ils évoluent, des coûts de renégociation, des coûts de contrôle du respect du contrat initial, des coûts éventuels de rupture du contrat.

Au final l’efficience de la firme est liée à sa capacité à limiter les coûts de transactions, grâce à sa capacité à contrôler la rationalité limitée et l’opportunisme des agents.

Williamson montre que ce qui distingue l’entreprise du marché c’est que :

le marché passe par une incitation monétaire

l’entreprise s’appuie sur une relation d’autorité. Cette relation d’autorité permet de réduire les coûts de transaction et les comportements opportunistes dans un contexte d’incertitude et de spécificité des actifs

La théorie des incitations.

La théorie des incitations s’appuie sur la relation d’agence qui correspond à une situation dans laquelle une personne (le principal) délègue une ou plusieurs tâches à une ou plusieurs autre(s) personne(s) (l’agent).

Cette situation génère des difficultés lorsque

les intérêts personnels du principal et de l’agent ne sont pas les mêmes

il y a une situation d’asymétrie d’information qui peut être de deux types : sélection adverse (il est difficile d’identifier les caractéristiques de l’agent) et aléa moral (il est difficile d’observer les actions de l’agent). En mettant en place des incitations, le principal cherche alors à orienter le comportement de l’agent dans le sens souhaité.

Selon la théorie de l’agence, l’entreprise apparaît comme un nœud de contrats. Chaque relation contractuelle s’inscrit dans une relation d’agence où il va s’agir de définir les règles et les incitations qui minimisent les coûts d’agence. Dans cette perspective l’entreprise ne se distingue pas du marché qui repose également sur des relations contractuelles.

la théorie des contrats incomplets

Théorie qui stipule que les contrats ne permettent pas d’envisager toutes les possibilités du fait de l’imperfection de l’information.

Ce principe d’incomplétude des contrats est déjà présent chez Williamson mais ici, il permet de comprendre les stratégies d’intégration verticale des entreprises qui repose sur la comparaison entre les coûts et les avantages de l’intégration. Cette théorie s’intéresse plus particulièrement aux contrats signés entre clients et fournisseurs. Il s’agit donc d’une théorie des droits de propriété : tout échange entre agents peut être considéré comme un échange de droits de propriété sur des objets.

2) Les approches non contractuelles de la firme.

Trois grandes théories peuvent être définies

L’approche « béhavioriste » initiée par H. Simon, R. Cyert et J. March où l’entreprise est perçue comme une organisation complexe, constituée de groupes aux intérêts divers qui vont des relations de coopération aux relations de conflits. La firme béhavioriste est une coalition d’individus (ce qui veut dire que chacun d’entre eux adhère à un objectif commun) mais cette coalition est source de conflits internes.

L’analyse d’E. Penrose, qualifiée d’évolutionniste, cherche les déterminants de la croissance des firmes et elle octroie un rôle décisif à l’entrepreneur. L’objectif de l’entreprise est de combiner ses moyens de production avec des moyens de production externes pour vendre des biens et dégager des bénéfices. La structure administrative évolue avec la croissance de l’entreprise. La croissance de l’entreprise dépend pour beaucoup de l’entrepreneur qui ose prendre des risques et saisir les opportunités.

L’analyse de R. Nelson et S. Winter s’inspire de la génétique. Les gènes de la firme correspondent aux « routines » mises en œuvre dans l’accomplissement des tâches et la prise de décision. Ces routines se maintiennent d’une période à l’autre et se transmettent par l’apprentissage et l’imitation. Si ces routines sont compatibles avec l’évolution de l’environnement et permettent d’obtenir des profits, l’entreprise pourra se maintenir. Dans cette perspective les entreprises peuvent néanmoins connaître des mutations grâce à des activités de recherche, qui leur permettent d’évoluer. Ces sont des mécanismes de « sélection » qui permettent de sélectionner, parmi les évolutions possibles, celles qui sont adaptées à la firme et à son environnement.

 

B) L’efficacité des formes organisationnelles

1) De la forme U à la forme M

La forme unitaire de la firme (U-form)

Après 1945, dans un contexte de forte croissance et de production de masse, se développent ce que Alfred Chandler dénomme les firmes U (firmes unitaires) qui correspondent à des entreprises de grande taille caractérisées par une forme hiérarchique centralisée et une séparation étanche des fonctions bien définies. Elle est découpée en branches fonctionnelles (commerce, administration, recherche, production) où tous les niveaux sont contrôlés, les fonctions sont cloisonnées et les opérations divisées.

L'objectif d'une telle organisation est de réaliser des économies d'échelle et de rationaliser la production. Elle répond donc aux objectifs d’une production standardisée. L’organisation du travail s’appuie essentiellement sur le système tayloro-fordien et donc l’utilisation d’une main d’ouvre abondante et peu qualifiée.

Cette forme U rencontre ses limites à la fin des années 60, elle se révèle à la fois inadaptée aux évolutions de la demande et les conditions de travail sont de moins en moins acceptées par une main d’œuvre mieux éduquée.

La forme multidivisionnelle (M-form).

La forme M (forme multidivisionnelle) prend donc le relais. Le système fonctionnel est décentralisé : l’entreprise est organisée en divisions qui peuvent correspondre à des activités de production ou à des zones géographiques. La direction de l’entreprise assure la coordination entre les divisions, elle planifie l'ensemble et prend les décisions stratégiques. Cette forme M permettrait de mieux s’adapter aux évolutions de la demande tout en réduisant les coûts d’organisation.

Ce modèle apparaît dans les grandes firmes américaines dès les années 20 chez Dupont de Nemours et General Motors. Elle autorise une plus grande souplesse, favorise l’intégration verticale et une meilleure coordination des unités de production. Chaque division a un fonctionnement calqué sur celui de la firme en U avec son système hiérarchique. Cette organisation permet une intégration verticale plus efficace et une meilleure coordination des unités de production. C’est cette organisation qui caractérise encore souvent les grandes multinationales contemporaines.

Dans les années 1960 Chandler montre que ces deux formes organisationnelles [U et M] se sont succédées dans le temps. Néanmoins, ces deux formes coexistent toujours (tout dépend de la taille, du secteur, etc.). Cependant il y a eu, tout au long du XXème siècle, une tendance à privilégier M, à cause de la complexification des systèmes industriels et de la croissance des groupes.

Pour relier ces formes organisationnelles à ce qui précède, on peut souligner que pour O.E. Williamson (Markets and Hierarchies : Analysis and Anti-Trust Implications, 1975), le passage de la forme en U à la forme en M s’explique essentiellement par l’économie des coûts de transaction. La structure M permettrait de diminuer les coûts d’organisation interne de la firme.

2) Le modèle de la firme J selon M. Aoki.

C’est un économiste japonais , M. Aoki qui va opposer le modèle hiérarchique traditionnel américain (la firme A qu’il va finalement appeler la forme H pour Hiérarchique) et le modèle japonais, la firme J, supposé plus souple et auto-organisée.

La forme H se caractérise par une organisation très hiérarchisée qui repose sur une séparation entre planification et production. Les avantages de cette organisation sont dus à des économies de spécialisation et une bonne capacité de réorientation stratégique massive lorsque cela est nécessaire.

Le mode J repose sur une coordination moins hiérarchisée, celle ci est plus informelle et horizontale : les différents acteurs internes peuvent être des forces de proposition face aux difficultés rencontrées. Le mode J permet ainsi une grande adaptabilité et favorise une meilleure motivation des salariés. L’organisation du travail mise en place à la fin des années 50 chez Toyota avec l’ingénieur Taïchi Ohno est une illustration de cette forme J. Chez Toyota, le kanban joue un rôle très important, le kanban est une étiquette, un document technique qui constitue un moyen de circulation de l'information entre deux postes de travail pour limiter la production du poste amont aux besoins exacts du poste aval (principe de réduction des stocks intermédiaires). L’organisation est flexible dans la mesure où le poste amont a une certaine autonomie pour la remise en production des pièces consommées.

M. Aoki a néanmoins admis que si les firmes J s’avéraient très réactives face à des modifications mineures, en revanche, les grandes réorientations nécessitent une planification plus proche des firmes H.

3) La firme réseau.

La firme réseau regroupe, selon Bernard Baudry (Economie de la firme, 2003) « contractuellement un ensemble de firmes (1) juridiquement indépendantes, (2) reliées verticalement, (3) au sein duquel une firme principale, qualifiée de firme pivot, de firme noyau ou encore d’agence centrale coordonne de manière récurrente des opérations d’approvisionnement, de production et de distribution ». 

Mais il faut souligner qu’en interne, cette firme réseau adopte des structures plus horizontales et moins cloisonnées que par le passé, qui obéissent également à une logique de réseau. 

Cette notion de firme réseau permet de rendre compte à la fois :

des réseaux que nouent les sociétés multinationales avec leurs clients, leurs fournisseurs et leurs partenaires privilégiés dans des alliances ponctuelles ou durables (les réseaux « interentreprises »),

des réseaux « intraentreprises » qui complètent ou remplacent les structures verticales  traditionnelles.

des grappes d’entreprises (clusters), au sein desquelles des entités indépendantes d’une même région coopèrent entre elles pour développer des synergies autour d’une même technologie.

Cette organisation s’est développée dans un contexte de concurrence mondialisée et permet à l’entreprise de gagner en flexibilité

Les transformations des modes de gouvernance.

Qu’est ce que la gouvernance d’entreprise ?

La gouvernance d’entreprise correspond au dispositif institutionnel et comportemental qui régit les relations entre les dirigeants de l’entreprise et les parties concernées par le devenir de l’entreprise.

C’est l’augmentation de la taille de l’entreprise que nous avons évoquée dans la première partie qui explique le développement de cette problématique. En effet l’augmentation de la taille des entreprises a conduit à une séparation entre la direction de l’entreprise et les propriétaires. Cette séparation fait donc émerger une relation d’agence où l’actionnaire joue le rôle de principal et le dirigeant celui d’agent. Mais cette vision est vite apparue trop réductrice, car les parties prenantes au sein d’une entreprise sont beaucoup plus nombreuses : il faudrait en effet ajouter les salariés, les fournisseurs, les banquiers, les collectivités publiques…on aurait donc plusieurs principaux, les parties prenantes face à un agent (ou un groupe d’agent), les managers.

De l’ère des managers à l’ère des actionnaires.

Les dirigeants salariés des grandes entreprises parviennent au cours du XXème siècle à acquérir un pouvoir incontestable. Ce sont eux qui détiennent les informations et prennent les décisions, c’est l’ère des managers.

Mais cette ère des managers va être contestée par la financiarisation : c’est le développement du financement externe direct pour les entreprises et le poids croissant des investisseurs institutionnels chargés de collecter l’épargne pour la placer sur les marchés financiers. Ces acteurs vont alors chercher à orienter les décisions des entreprises dans le but d’accroître la rentabilité des actionnaires. Ce sont des systèmes incitatifs (les stocks options par exemple, sont des droits attribués aux salariés de pouvoir acheter des actions de leur entreprise à un prix fixé à l’avance et dans un délai déterminé, cela incite les salariés à faire monter le cours de l’action de leur entreprise) qui permettent de guider les décisions des managers dans le sens souhaité.

L’affaire Enron, puis la crise financière de 2007-2008 vont finalement montrer les limites de ce type de gouvernance.

Aujourd’hui on peut se demander si des modes de gouvernance socialement responsables peuvent apparaître. Le but serait de parvenir à concilier performance financière et sociétale mais également de prendre en compte les contraintes environnementales.

Au final la théorie économique s’est donc depuis Ronald Coase efforcée de mieux comprendre le fonctionnement des entreprises.

3 -  Sociologie des organisations

A ) De la bureaucratie aux organisations

1)  Max Weber, pionnier de la sociologie des organisations

On considère souvent que le père de la sociologie des organisations est Max Weber qui, dans Wirtschaft und Gesellschaft (Economie et Société) (1921), propose une définition relationnelle du pouvoir : il définit en effet le pouvoir comme « toute chance de faire triompher, au sein d'une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ; peu importe sur quoi repose cette chance ».

Weber décrit trois types de domination (de pouvoir) qui correspondent à des idéaux-types :

  • la domination traditionnelle qui s’appuie sur la croyance en la sainteté des traditions,
  • La domination charismatique qui s’appuie sur la croyance du caractère exceptionnel d’une personne,
  • La domination rationnelle ou légale qui s’appuie sur la croyance en l’efficacité des règles.

Dans les sociétés modernes, Max Weber observe que le mode de domination est rationnel-légal et il correspond à un mode d’organisation particulier : la bureaucratie. Le développement de la bureaucratie résulte, selon M. Weber, d’un processus de rationalisation de la société. La bureaucratie correspond à l’organisation des administrations, des entreprises, des partis politiques, des associations, des Eglises…

La bureaucratie est légitime parce qu’elle est efficace et qu’elle introduit des règles écrites et formalisées qui limitent l’arbitraire dans les relations interpersonnelles.

En effet on peut retenir plusieurs caractéristiques de la bureaucratie :

  • une délimitation objective des compétences de chaque agent par des textes précis qui déterminent dans le détail l’étendue et la nature de leurs compétences,
  • la gestion par des règles impersonnelles qui amènent l’agent de l’administration à traiter chaque cas de manière objective et neutre,
  • les agents sont compétents, ils ont reçu une formation professionnelle pour exercer leurs fonctions,
  • le travail est divisé et décomposé en fonction des compétences de chacun.

2) La critique de la bureaucratie par Robert K. Merton

R. Merton s’inscrit dans le courant structuro-fonctionnaliste de la sociologie américaine et va montrer les limites de la bureaucratie. R. Merton favorise la substitution du terme d’organisation à celui de bureaucratie et indique que pour en comprendre le fonctionnement il faut utiliser le concept de fonction.

Merton distingue alors,

  • les fonctions manifestes qui correspondent aux effets bénéfiques consciemment recherchés par les acteurs sociaux,
  • les fonctions latentes qui ne résultent pas de la volonté intentionnelle des acteurs mais demeurent bénéfiques au système,
  • les dysfonctions qui correspondent aux phénomènes nuisibles au maintien du système.

La bureaucratie génère des dysfonctions. R. Merton évoque l’idée du développement d’une « personnalité bureaucratique » qui correspond au fait que les employés des bureaucraties n’ont plus pour objectif de répondre aux demandes des clients ou des usagers mais cherchent à se repérer au milieu des règles et des consignes. Les relations deviennent impersonnelles, les consignes sont donc appliquées à la lettre, elles deviennent des absolus. L’organisation est alors très rigide.

De nombreux travaux empiriques montrent alors dans la lignée des travaux de R. Merton que la bureaucratie génère d’autant plus de dysfonctions qu’elle se rapproche de l’idéal type wébérien.

Du phénomène bureaucratique à l’analyse stratégique, l’apport de Michel Crozier

En France c’est Michel Crozier qui va permettre le développement de la sociologie des organisations. Michel Crozier s’appuie sur des recherches empiriques menées aux chèques postaux et à la Seita pour expliquer le développement du phénomène bureaucratique et le développement des dysfonctions associées.

M. Crozier décrit le cercle vicieux bureaucratique à travers plusieurs étapes identifiées par Claudette Lafaye (sociologie des organisations (2014)) :

  • Les cercles vicieux bureaucratiques se développent dans des organisations dont le fonctionnement est fondé sur des règles impersonnelles
  • Les règles ne parviennent jamais à tout prévoir ; de surcroit leur nombre engendre des contradictions : il reste donc toujours des zones d’incertitude
  • Les membres de l’organisation cherchent à contrôler ces zones d’incertitude en vue d’accroitre leur pouvoir au sein de l’organisation.
  • Lorsqu’ils y parviennent, s’établissent de nouvelles relations qui engendrent des frustrations chez les acteurs qui les subissent
  • Ceux ci sont alors conduits à faire pression pour que soient édictées de nouvelles règles impersonnelles capables d’encadrer les sources d’incertitude qui ont été repérées.
  • Les nouvelles règles ainsi produites créent dans leur confrontation avec les règles antérieures, de nouvelles sources d’incertitude dont vont se saisir des acteurs ou des groupes d’acteurs au sein de l’organisation.

Le cercle vicieux peut donc se reproduire sans fin.

Au final pour Crozier, la bureaucratie s’apparente à des dysfonctionnements

  • L’isolement des employés et des groupes professionnels,
  • la prépondérance des règles impersonnelles et leur rôle dans la protection individuelle ou collective,
  • l’influence des groupes professionnels et des syndicats,
  • l’inefficacité des objectifs fixés par les responsables et l’inefficacité du contrôle,
  • la résistance au changement et un processus de transformation par la crise
  • l’omniprésence du pouvoir ou plutôt la prédominance des relations de pouvoir.

La conclusion de l’auteur est qu’il est quasi impossible de concevoir un modèle purement rationnel de direction.

M. Crozier va avec Erhard Friedberg proposer d’étudier l’organisation comme un phénomène autonome. M. Crozier et E. Friedberg vont s’intéresser tout d’abord aux acteurs individuels. Une organisation est composée d’acteurs dotés de rationalités spécifiques. Là où l’organisation classique suppose que l’organisation impose un cadre aux individus, l’analyse stratégique s’intéresse au contraire à la façon dont les individus utilisent leurs marges de liberté pour acquérir du pouvoir au sein des organisations. Tout acteur est doté de capacités stratégiques qui sont toujours rationnelles mais d’une rationalité limitée et contingente.

Le système d’action concret développé par Crozier et Freiberg vise à transposer l’analyse organisationnelle à celle de la société qui permet de comprendre les problèmes de coordination posés par toute action collective. En effet selon eux, l’étude des organisations conduit à l’étude générale des systèmes d’action donc à l’action collective.

Le changement social serait ainsi le résultat d’une transformation d’un système d’action.

 

B)  Vers une sociologie de l’entreprise

C’est au cours des années 80 qu’émerge une sociologie de l’entreprise, à la croisée de la sociologie des organisations et de la sociologie du travail. Les théories qui précèdent vont être mobilisées pour renouveler l’approche.

Les phénomènes identitaires et culturels.

Ce sont des enquêtes de terrain, menées par des sociologues et des historiens du travail, qui vont mettre en évidence l’existence de sociabilité collectives, de communautés professionnelles, de micro et de sous culture. Tous ces éléments sont en effet essentiels dans les entreprises.

Renaud Sainsaulieu dans son ouvrage l’identité au travail (1985) s’appuie sur des enquêtes empiriques menées dans les entreprises publiques et privées et montre que les rapports du travail sont liés à l’entreprise dans laquelle ils s’exercent.

Il évoque la construction d’une identité au travail résultant de la socialisation dans l’entreprise. Il définit l’identité professionnelle comme la façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes ce qui est fondé sur des représentations collectives distinctes. L’identité dépend donc des interactions sociales de l’individu et, en particulier, des conditions dans lesquelles il parvient au pouvoir. Le travail en entreprise deviendrait le nouveau lieu de production et d’apprentissage culturel.

Philippe d'Iribarne rajoute une dimension historique au concept de culture. L’étude de P. d’Iribarne s’appuie sur la comparaison d’unités de production d’une même entreprise implantées dans différents pays. Il met ainsi en évidence les caractères nationaux des modes de gestion des entreprises, influencés par l’histoire et les traditions. Ainsi la France se caractérise selon P. d’Iribarne par une logique de l’honneur, les Etats unis par une culture de l’échange libre et équitable. Les entreprises ne peuvent donc échapper au poids des traditions dans leur mode de gestion.

La notion de culture d’entreprise.

Le concept de culture désigne l’ensemble des normes et des valeurs, des représentations partagées, des façons de sentir, penser et agir qui fondent une société. La question est de savoir si ce concept peut s’appliquer au monde de l’entreprise. Pour R. Sainsaulieu la notion de culture d’entreprise s’accompagne d’un certain nombre de problèmes théoriques qui tiennent aux hypothèses sur lesquelles elle repose :

  • hypothèse 1 : la culture d’entreprise suppose l’existence d’une culture commune, faite de représentations et de valeurs, partagée par tous les membres de l’organisation. Or l’entreprise est aussi un lieu de conflits sociaux et d’antagonismes de classes
  • hypothèse 2 : la culture d’entreprise sous entend que les jeux et les stratégies des acteurs au sein des organisations sont nourris par des valeurs intériorisées et des systèmes de représentation. Cette hypothèse rompt donc avec la sociologie des organisations de M. Crozier pour laquelle les stratégies des acteurs doivent être interprétées en termes d’opportunités de pouvoir.
  • hypothèse 3: la culture d’entreprise repose sur l’idée d’un projet mobilisateur or, rien ne garantit qu’un tel projet fasse l’unanimité au sein de l’entreprise
  • hypothèse 4: l’entreprise est une micro société capable d’instituer durablement les règles de son fonctionnement social interne or, l’entreprise n’est pas un univers clos, elle peut être influencée par son environnement social extérieur.
  • hypothèse 5 : l’entreprise est productrice de sociabilités, d’identités, de valeurs susceptibles de rejaillir sur la société globale et de l’imprégner. Cette hypothèse suppose tout d’abord des formes d’apprentissage, de transmission et de diffusion de ces éléments culturels, en direction de la société, mais suppose également que ces différents éléments soient compatibles avec les exigences de la production. Ces éléments ne semblent pas évidents.

La question de la culture d’entreprise ne va donc pas de soi selon R. Sainsaulieu

La place de l’entreprise aujourd’hui.

Denis Segrestin reprend les notions de communauté et de société mis en évidence par F. Tönnies et repris par M. Weber.

D. Segrestin défend l’idée que l’entreprise se serait d’abord construite sur le mode sociétaire, par opposition avec les valeurs traditionnelles du métier et de la communauté fusionnelle des corporations.

L’entreprise serait ainsi caractéristique des sociétés modernes où le lien social se transforme de la communauté vers la société reposant davantage sur les relations contractuelles et impersonnelles. Pour D. Segrestin, l’entreprise aujourd’hui a trouvé un équilibre harmonieux entre sociation et communalisation

D. Segrestin et R. Sainsaulieu considèrent que l’entreprise n’est pas une organisation parmi d’autres mais une institution centrale de la société d’aujourd’hui, capable d’assurer une nouvelle régulation des rapports sociaux. Cette régulation se réalise, selon les auteurs à trois niveaux :

  • Le niveau identitaire: L’entreprise est un lieu de production identitaire.
  • Le niveau culturel: l’entreprise propose un modèle culturel (même si cela ne fait pas l’unanimité)
  • Le niveau du changement: l’entreprise produit des valeurs, des modèles et des systèmes de représentation. L’entreprise évolue et peut contribuer au changement de cette société.

L’entreprise, dans cette optique, est une institution.

Le développement des organisations et leur perception s’inscrivent donc dans un contexte historique. L’étude des organisations a permis de comprendre comment les acteurs construisent et coordonnent des activités organisées.