La croissance et les fluctuations aux XIXième et XXième siècles

Eléments de cours

 

1 - La croissance et les fluctuations aux XIXième et XXième siècles : description et définitions

INTRODUCTION

C’est à partir du XIXème siècle que l’on peut constater une augmentation des quantités produites de période en période .Cela constitue la croissance qui est repérée à partir de l’augmentation d’un indicateur macroéconomique comme le PIB. Le rythme auquel les quantités augmentent est très variable selon les périodes. Il peut même s’infléchir au point d’annuler la croissance ; c’est à dire que les processus de croissance ont été et sont encore irréguliers. On peut donc parler de croissance et de fluctuations. On peut aussi parler de crise pour décrire les retournements d’activité. Dans un premier temps nous décrivons les principales étapes de la croissance en tentant d’en mettre en évidence les mécanismes. Dans un second temps nous nous intéresserons à la question des crises.

A) Eléments sur la croissance aux XIXième et XXième siècles

1) Le décollage

Les expressions sont multiples pour décrire les processus qui se mettent en place à partir de la 2ième moitié du XVIII ième siècle en Angleterre tout d’abord. On parle de décollage, de « take off » ou de révolution industrielle. En même temps l’idée même d’un mouvement rapide et d’amplitude importante qui ferait passer l’économie de la stagnation à la croissance est discutée. En effet dans un certain nombre de pays le mouvement d’augmentation et de transformations des quantités produites a été très lent et empêche du même coup de parler de « décollage » Néanmoins on peut repérer un certain nombre de faits qui montrent à la fois un changement dans le fonctionnement de l’économie et de la société et qui vont avoir un impact irréversible sur la structure des mêmes économie et société. Pour parfaire les connaissances dans ce domaine on ne peut que recommander la lecture de l’ouvrage de Jean Pierre Rioux : « la révolution industrielle »Il s’agit pour nous de donner les principaux éléments qui permettront de mettre en évidence par la suite les mécanismes économiques et sociaux de la croissance.

Il y a donc un « AVANT » le décollage caractérisé par la stagnation c’est à dire la reproduction à l’identique des conditions de production et des productions elles mêmes. Les conditions de production peuvent être approchées par la quantité et le type de travail d’un coté et par le capital de l’autre, travail et capital constituant les facteurs de production. Pour simplifier on peut dire que le nombre d’hommes engagés dans des activités productives et le type de ces activités ne changent guère. Par ailleurs la quantité de capital sous sa forme financière reste très faible dans la majorité de activités et les techniques de production qui constituent l’aspect matériel du capital n’évoluent pas.

Il en résulte que non seulement il n’y a pas de modification des activités motrices, celles-ci étant largement dominées par l’agriculture mais au sein même de cette activité il n’ya pas de modification des façons de produire : l’ensemble donne donc un sentiment d’immobilité.

Mais se produit un certain nombre de faits qui changent la donne :

a) on peut repérer des transformations démographiques : J.P.Rioux parle à ce sujet de «  victoire décisive de la vie au XVIII ième siècle »On observe une forte augmentation du nombre d’hommes. Ainsi la population européenne passe-t-elle de 140 millions en 1750 à 187 en 1800 puis 266 en 1850.

Cette augmentation est liée à un recul de la mortalité dans un contexte caractérisé par un maintien d’une forte natalité. Mais ces évolutions sont très diverses selon les pays et les périodes. Quel rôle la croissance de la population a-t-elle joué sur la croissance économique ? Les réponses sont nuancées : par exemple l’Angleterre qui connait le décollage le plus rapide a une croissance démographique inférieure à celle d’autres pays d’Europe. Si la croissance démographique a une incidence sur la croissance économique, par quels mécanismes peut-on l’expliquer ? Notamment comment les facteurs d’offre et de demande sont ils entremêlés ? Cette question est centrale pour l’organisation économique et sociale comme en témoignent les débats autour de Speenhamland et les travaux de Malthus.

b) les techniques agricoles se modifient. Depuis longtemps déjà certains grands propriétaires se préoccupent de l’augmentation des quantités produites. Pour stimuler l’offre ils cherchent à supprimer la jachère qui laissait le sol improductif ; pour cela ils alternent les cultures. Mais surtout et là on voit combien économie et société sont liées, en supprimant les enclosures, ils participent au développement de l’individualisme agraire et qui dit individualisme dit aussi recherche du profit : une nouvelle classe d’ exploitants propriétaires va se développer participant à ce mouvement de croissance des productions. Mais en rejetant hors des « communs » toute une masse de paysans pauvres sans terre, ils participent aussi à de vastes mouvements de population : ces paysans pauvres vont chercher dans l’industrie naissante à la ville les moyens d’échapper à leurs conditions : ils vont constituer dans la majorité des cas ce que Marx appelle : l’armée de réserve industrielle.

c)  les transformations techniques ont un rôle dans le décollage économique. Tout le monde est d’accord pour dire que ce sont les progrès dans le domaine du tissage avec la navette volante de J.Kay (dès 1733) qui marquent le début d’un formidable emballement de la production textile : en effet l’augmentation très forte de la productivité, (c’est à dire le rapport entre les productions et les facteurs de production nécessaires pour les obtenir), dans le tissage impose des modifications en amont au risque de goulet d’étranglement, un goulet d’étranglement désignant un déséquilibre sur la chaine de valeurs : ainsi les tisserands qui tissent plus vite attendent-ils une augmentation rapide des quantités filées et qui sont destinées à être tissées ce qui n’est possible que si il y a un progrès technique dans le domaine du filage. On pourrait donc dire que le progrès technique entraine nécessairement le progrès technique.

d) L’augmentation de la productivité, c’est à dire le rapport entre le résultat produit et les quantités de facteurs nécessaires à cette production, se traduit aussi par une augmentation des marchandises qu’il faut écouler sur le marché. Là encore interfèrent les facteurs d’offre et de demande. L’Angleterre par exemple importe des quantités croissantes de coton brut qu’elle transforme grâce à ces procédés nouveaux et qu’elle réexporte dans le monde entier. Les possibilités de profit sont décuplées ce qui suscite sans cesse de nouvelles vocations d’entreprises ce que comprend bien le gouvernement britannique qui aide les entrepreneurs.

e) Enfin, il faut remarquer que tous les pays ne sont pas entrainés dans ce mouvement au même moment et au même rythme. On peut dire que l’Angleterre a été le modèle du décollage à la fois en raison de la précocité du phénomène mais aussi à cause de l’ampleur que cela a pris, ce qui va avoir des conséquences pour ce pays et l’ensemble du monde des décennies durant : l’Angleterre est la 1ere puissance mondiale jusqu’à la guerre de 1914. A l’inverse l’expression de décollage ou révolution industrielle est discutée pour la France qui s’engage dans les transformations à un rythme beaucoup plus lent.

En synthèse il faut donc remarquer l’imbrication des éléments expliquant le décollage et notamment insister sur le fait que le mouvement des économies n’est pas possible sans transformations des mentalités et des institutions. Pour ce point on renvoie une fois encore à l’ouvrage de J.P.Rioux cité ce dessus.

2) L’installation dans la croissance et le développement de la croissance de 1850 aux années 1920

A partir des années 1850 la croissance s’affirme en Angleterre tandis que la France suit un modèle d’industrialisation spécifique : relative lenteur des changements techniques et des migrations de la population rurale vers les villes, comme évoqué ci-dessus. De nouvelles puissances industrielles apparaissent : Les Etats Unis et l’Allemagne tandis qu’il faut attendre la fin du siècle pour que la croissance s’installe au Japon et en Russie dans le cadre d’une forte intervention de l’Etat. A partir de 1850 on entre dans l’ère du rail : le développement des chemins de fer permet le rapprochement de l’offreur et du demandeur, du producteur et du consommateur et on voit bien là les effets d’entrainement que le développement d’une technique ou d’une branche d’activité peut avoir sur la croissance globale de l’économie.

La fin du XIXième siècle est marquée par la seconde révolution industrielle qui s’appuie sur l’électricité, le pétrole, l’acier : nouvelles techniques et nouveaux matériaux imposent l’augmentation de la taille des firmes. On assiste alors à de grands mouvements de concentration des entreprises. Si la concentration des entreprises peut être définie comme l’augmentation de la taille des entreprises, les formes de la concentration et les moyens de la mesurer sont divers. Voir à ce sujet les définitions du Dictionnaire des sciences économiques d’A.Beitone et alii . A.Marshal, dans les principes d’économie politique de 1890, met en évidence les avantages que procure la grande taille : en augmentant leur taille les entreprises réalisent des économies d’échelle, c'est-à-dire une diminution de leur coût unitaire, celui étant défini par le rapport entre le coût total et la quantité produite. Les économies d’échelle doivent pouvoir profiter aux entrepreneurs et aux consommateurs. L’organisation des marchés en est bouleversée : la structure des marchés devient oligopolistique. Pour ces questions nous renvoyons les étudiants au cours de micro-économie.

Le début du XXième siècle est marqué par la volonté de gagner en productivité par le biais de la division du travail. Les travaux de l’ingénieur américain Taylor aboutissent à la taylorisation caractérisée par la division du travail en tâches simples, par la séparation entre tâches de conception et tâches d’exécution, par le contrôle de façon à éviter la flânerie et par des primes au rendement.

Et Ford, en 1913 aux Etats Unis, comprend que les gains de productivité dans l’industrie automobile ne sont pas suffisants pour assurer la croissance : le pouvoir d’achat, qu’on peut définir comme la quantité de biens que procure la détention d’une quantité donnée d’unités monétaires, doit progresser pour assurer les débouchés des firmes. C’est la raison pour laquelle il offre aux ouvriers de l’automobile un salaire de 5§ par jour.

Dans les années 1920 la progression de l’activité est très importante et même Keynes pense que le problème économique est réglé pour toujours !

3) L’accélération de la croissance : les 30 glorieuses

Bien qu’il soit difficile de séparer précisément les périodes, on peut dire qu’un nouveau système de croissance se met en place dans les économies occidentales à partir des années 1950.On peut se référer à l’ouvrage de P.Massé et P.Bernard écrit en 1969 et intitulé « Les dividendes du progrès »Ces auteurs montrent que la croissance qui se manifeste dans les économies développées dans les années 1960 est un phénomène nouveau à plusieurs titres. Le rythme de la croissance est très élevé et maintenu. Par exemple sur la période 1957/1963 d’après ces auteurs, le taux de croissance moyen dans les pays développés à économie de marché est de 4,4% soit une croissance de la production intérieure brute (G.N.P., agrégat utilisé dans les années 1960) par tête de 3,1%.Cette croissance est maintenue jusqu’au début des années 1970.Des inflexions du taux de croissance se manifestent néanmoins mais cela ne menace pas l’expansion. Il semble que les crises aient disparu !

Il y a donc un formidable mouvement qui pousse les économies vers des productions sans cesse plus importantes : ceci est le résultat de la combinaison de facteurs de production travail et capital en quantités toujours plus grandes, c’est-à-dire qu’il y a une dimension extensive dans cette croissance mais il  y a aussi de formidables gains de productivité du travail et du capital. Il y a donc une dimension intensive. C’est à ce moment que les débats sur le progrès technique se développent : qu’est ce que le progrès technique ? Comment est il intégré à l’économie ? Les économistes Carré, Dubois et Malinvaud posent la question : Si l’on compare l’augmentation des quantités de facteurs travail et capital dont la combinaison permet la production, à l’augmentation des quantités produites, on se rend compte d’un déséquilibre : la croissance des productions est largement supérieure à celle des quantités de facteurs.il y a donc un RESIDU (c’est l’expression utilisée par ces auteurs) de croissance qui n’est autre que la preuve de l’efficacité croissante de la combinaison productive. On peut dire qu’à partir de cette époque la question de la productivité et du progrès technique et aussi la question de l’innovation, deviennent des questions centralse en économie.

La croissance des « 30 Glorieuses » se traduit par une modification importante des modes de vie. Cela peut être approché notamment à partir des modes de consommation et des conditions de travail. En ce qui concerne les modes de consommation, la standardisation des produits commencée au début du siècle se poursuit et aboutit à des interrogations et des analyses telles celles de J.Baudrillard dans « la société de consommation «ou le « système des objets »

Les conditions de travail apparaissent comme très largement déterminées par la nécessité de gagner toujours plus en productivité et se détériorent dans les entreprises notamment pour les salariés peu qualifiés. A Gorz en 1973 analyse la division du travail qui n’est pas seulement une division technique du travail mais aussi une division sociale du travail. Les syndicats s’inquiètent de cette situation : la CFDT publie un ouvrage : Les dégâts du progrès en 1977 

C’est que cette croissance importante a permis certes une augmentation des niveaux de vie mais comme l’analysent P.Massé et P.Bernard il y a «  les élus et les exclus ». Si les moyennes statistiques montrent une augmentation du niveau de vie, il y a beaucoup d’écarts d’une entreprise à l’autre, d’une branche d’activité à l’autre, d’une région à l’autre, comme en témoignent les mouvements sociaux en France, par exemple la grève des mineurs de 1963 .Il demeure dans les économies en croissance des poches de pauvreté .

Par ailleurs les rythmes et la nature de la croissance sont différents d’un pays à l’autre.par exemple la croissance française apparait beaucoup plus inflationniste que la croissance allemande.

4) de 1970 à aujourd’hui

Les taux de croissance depuis le 1er choc pétrolier ont ralenti. Ainsi pour la France, sur la période 1991/2000 le taux ce croissance du PIB est de 2,1% contre 2 ,6 sur la période 1913/1987.Ceci amène réflexion : cette période n’est pas tant caractérisée par une diminution des taux de croissance que par un retour à des taux « normaux » après les taux exceptionnels qui ont caractérisé la période des années 1960.

Cette période est caractérisée par des mouvements brusques et d’amplitude importante des de l’activité. On a beaucoup mis l’accent notamment sur les mouvements de la demande qui brouillent les anticipations des firmes.

En plus d’une croissance ralentie les caractéristiques de cette période sont à lire du coté de la transformation des systèmes productifs. Cette période est dominée par une tertiarisation très forte qui est aussi une désindustrialisation.

Tous les pays sont à des degrés divers marqués par ce phénomène : la part de l’emploi industriel dans l’ensemble des emplois diminue et la part de la VA  industrielle dans le PIB diminue elle aussi. On cite souvent le cas des friches industrielles aux Etats Unis. Mais le débat est ouvert : faut il parler d’opposition entre secteur secondaire et secteur tertiaire, ne faudrait-il pas plutôt parler de complémentarité ? Ce débat semble aujourd’hui laissé quelque peu de côté comme si on avait la réponse. Il faut de la compétitivité industrielle, on ne peut assurer une croissance durable en s’appuyant uniquement sur le secteur tertiaire.

Ces transformations des systèmes productifs s’accompagnent de modifications dans les modes de fonctionnement de l’économie et de la société. Les économies s’engagent pour une grande partie d’ente elles sur le chemin de la déréglementation ou de la dérégulation : on cherche à limiter le poids de l’Etat dans l’économie après 30 ans d’intervention forte dans le cadre de l’application des théories keynésiennes qui se sont traduites par un poids très grand des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques dans le PIB. Si l’on regarde aujourd’hui les ratios prélèvements obligatoires/PIB ou dépenses publiques /PIB on peut dire que cette volonté de réduire le poids de l’Etat n’a pas abouti mais ceci est une question complexe qui doit être traitée dans le cadre des analyses des crises et des politiques économiques.

Les économies s’engagent aussi sur la voie de la désintermédiation qui désigne une transformation des processus de financement des économies. Jusqu’aux années 1980, le financement de l’économie est un financement essentiellement bancaire, c’est-à-dire que les entreprises, agents à besoin de financement trouvent leurs ressources auprès des banques. A partir des années 1980 le financement devient un financement de marché. La séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires disparait : c’est le décloisonnement bancaire. C’est le début d’un développement exponentiel du rôle des marchés financiers. Ce développement a généré de multiples débats : notamment, quel est le rôle de ces marchés dans les crises qui se succèdent sans qu’on trouve les outils appropriés pour lutter contre.

B - Les crises aux XIXième et XXième siècles

Il ne s’agit pas ici de faire une description exhaustive des crises qui ont traversé ces deux siècles. Nous nous demandons plutôt :

1) Qu’est ce qu’une crise ?

Une crise est un moment de rupture entre une phase de croissance économique et une phase de diminution de l’activité. Elle est stricto sensu le moment de retournement. La période qui suit ce moment est une récession si elle est de court terme ou une dépression si elle s’inscrit dans le long terme. Par extension de vocabulaire on parle de crise pour décrire des situations de récession ou de dépression. Par exemple on peut remarquer que le mot CRISE est régulièrement utilisé pour décrire la situation des économies aujourd’hui alors même que nous ne sommes pas en rupture par rapport à une situation précédente mais plutôt installés dans une situation de stagnation de l’activité avec toutes les conséquences économiques et sociales que cela entraine.

2)  Les types de crises

On distingue les crises d’ancien régime et les crises modernes. Les crises d’ancien régime concernent les périodes préindustrielles et ont donc en grande partie disparu au XIXieme siècle. Néanmoins puisque le décollage ne se fait pas partout à la même vitesse ce type de crise peut encore apparaitre en quelque endroit : elles sont des crises de sous production agricole entrainant la disette dans un monde caractérisé par la dépendance de l’homme vis-à-vis de la production agricole. Elles sont donc des crises de sous production : on sait le lien établi entre la crise agricole en France à la veille 1789 et la révolution.

Les crises modernes sont souvent des crises de surproduction c'est-à-dire des crises de débouchés. Le déroulement de ces crises est bien mis en évidence par G.Mathieu dans un article de « Le monde » repris par J.Brémond dans le dictionnaire des théories et mécanismes économiques. Il montre la régularité des fluctuations : On voit se succéder des cycles qui se divisent en 2 périodes à peu près égales : 4 années d’expansion puis 4 années de récession. Il montre aussi l’enchainement des mécanismes de crise. Dans les périodes de croissance les prix, les salaires et les profits, mais aussi les cours de Bourse sont tirés vers le haut entrainant la surchauffe jusqu’à ce qu’une rumeur se répande sur l’instabilité du système sur les risques de la fièvre spéculative entrainant faillites bancaires, faillites des entreprises...Mais les crises modernes peuvent aussi se traduire par une chute des productions : Ainsi, on peut évoquer la crise de 1825 qui nait à Londres, qui est le résultat de spéculations boursières des banques, qui se traduit par la hausse des taux, qui entraine la chute du crédit et donc de l’investissement ce qui entraine une chute des productions textiles.la demande de coton aux Etats Unis chute alors : on voit bien le processus de diffusion des crises au niveau international. ET ces mécanismes se reproduisent 11 fois entre l’exil de Napoléon et Sarajevo toujours d’après G.Mathieu. On pourra lire aussi les pages que J.P.Rioux consacre à ce sujet dans « La révolution industrielle »

Il apparait donc que ces mécanismes de crise sont complexes.

3) La crise de 1929

On a l’habitude de considérer que la crise de 1929 est apparue avec le krach boursier du 24 Octobre 1929, qui voit l’effondrement de la bourse de New-York. S’il s’agit d’un phénomène spectaculaire, on ne trouve pas là néanmoins d’explication à la crise.

La chute de la Bourse entraine faillites bancaires et faillites des entreprises. Les productions industrielles et de produits primaires de même que le commerce international diminuent fortement. D après P.C.Hautcoeur (la crise de 1929) En 1933, la production industrielle mondiale a diminué de 40% par rapport à son niveau de 1929. La conséquence immédiate en est un chômage très élevé : 5,6 millions de chômeurs en Allemagne et 12 millions aux Etats-Unis tandis que les Etats se referment sur eux-mêmes : stratégies d’autarcie ou de repli impérial

On peut analyser cette crise comme étant une crise des structures du capitalisme.

La période des années 1920 a été une période de croissance qui s’est appuyée sur la régulation concurrentielle du système. La crise de 1929 montre les limites de la régulation par le marché. Au cours des années 1920 la transformation des systèmes productifs liée notamment à la taylorisation a permis une forte augmentation des productions. Le développement du crédit a assuré les débouchés pour ces productions. Les profits ont fortement augmenté. Mais deux éléments peuvent expliquer que le mécanisme se grippe. Les salaires n’augmentent pas suffisamment pour « avaler «  des productions sans cesse plus grandes. Il y a donc une distorsion salaires/profits qui ne peut que déboucher sur la crise. Mais cette thèse doit être nuancée : par exemple en France les salaires évoluent à peu près comme la productivité entre 1913 et 1929.Il faut donc trouver une autre explication : P.C. Hautcoeur met l’accent sur la fiscalité : les impôts diminuent pour les très hauts revenus après 1925, ce qui augmente les inégalités et joue contre la consommation populaire. Le deuxième élément est le coût du crédit croissant pour les consommateurs particulièrement aux Etats Unis ce qui va conduire au surendettement d’un nombre croissant de ménages et va réduire d’autant la consommation.

La durée de la crise, les difficultés à en sortir (puisqu’on considère que c’est l’effort de guerre qui permet le redémarrage de l’économie dans la deuxième moitié des années 1930) montre que la crise est structurelle. Elle impose donc de revoir les modes de régulation du capitalisme, ce qui est en marche après la seconde guerre mondiale.

 

4)  Les turbulences depuis 1970

Si la période 1945/1970 apparait comme une période de croissance ininterrompue malgré quelques retournements passagers, la période qui suit et ce jusqu’à aujourd’hui est caractérisée par des fluctuations importantes, des retournements soudains de nature diverse ce qui entraine qu’on peut reprendre les termes de J De Band pour décrire cette période : il s’agit de turbulences.

Les taux de croissance du PIB sont restés positifs sauf à des moments précis par exemple 1975, ou encore 1993 années au cours desquelles on a observé une stagnation du PIB. Mais on n’observe pas la chute brutale des productions qu’on a pu observer pendant la crise de 1929.Le chômage est élevé. En France en 1981, il frappe 7,5% de la population active d’après A.Barrère (La crise n’est pas ce que l’on croit,1981).L’inflation est forte : l’indice des prix à la consommation s’est élevé à 13,8% en 198 0(A.Barrère).Cette situation de concomitance de chômage et d’inflation qui remet en cause la relation de Phillips qui associe un chômage fort à une faible inflation et un chômage faible à une forte inflation est appelée STAGFLATION.

Cette crise n’est pas d’abord perçue comme une crise grave : les explications qui en sont données privilégient tout d’abord des faits appelés exogènes c'est-à-dire extérieurs, non liés au mode de fonctionnement de l’économie. Ainsi l’explication privilégiée consiste à mettre en avant l’augmentation importante des prix du pétrole. En réalité cette augmentation a des conséquences négatives très importantes sur les entreprises en gonflant les coûts de production, mais quand se produit un retournement des prix des matières premières la crise ne disparait pas pour autant : c’est que la crise a une nature structurelle, elle est une crise organique ce dont on commence à prendre conscience à partir des années 1980, date à partir de laquelle on s’enfonce dans la crise : chômage persistant, instabilité. Dans ce cadre il faut cependant remarquer que les Etats plus ou moins tôt gagnent la bataille de l’inflation.

A partir des années 1990 se sont succédé des crises de nature diverse et dans des endroits eux-mêmes divers. Ainsi on peut citer les crises de change en Asie qui ont été en grande partie la conséquence des processus de libéralisation financière qui eux mêmes ont participé à la prise de risque par les banques : risques de crédit : en prêtant de plus en plus elles se heurtent à des risques d’insolvabilité de plus en plus grands ; risques de distorsion d échéances : elles prêtent à long terme des ressources empruntées à court terme ; risques de change : elles empruntent dans des devises étrangères ce qui fait chuter la valeur de la devise nationale qui n’est pas soutenue par l’Etat dans ce cadre de libéralisation financière.

Les années 2000 sont tout d’abord marquées par le krach boursier portant sur les valeurs liées aux NTIC. Comment analyser cela : Les investisseurs dans ce domaine étaient persuadés de la croissance des débouchés «  ad vitam aeternam » ! En effet, il s’agit d’équiper la planète entière de NTIC, le processus ne fait que démarrer, il semble ne pouvoir avoir de limite ! Cependant, on se met à douter et les valeurs se retournent ce qui entraine une crise boursière dès 1998 aux Etats Unis et qui va se propager au reste du monde.

Les années 2000 sont aussi marquées par ce qu’on appelle la crise des subprimes : celle-ci débute aux Etats Unis : les autorités américaines cherchent à augmenter le taux de propriétaires immobiliers. Pour cela on développe les possibilités d’accès au crédit immobilier pour des populations qui en étaient jusque là exclues. Des montages financiers visent à attirer des populations aux revenus faibles. Par exemple aucun remboursement pendant les 3 premières années n’est exigé. Les prêts sont par ailleurs gagés sur les biens immobiliers dont on est persuadé qu’ils prennent sans cesse de la valeur. Mais ces créances sont risquées, ce qui pousse les banques à la titrisation. Ces titres sont alors d’autant plus rémunérateurs que le risque est élevé. Tant qu’n, est persuadé del a hausse des prix sur le marché immobilier, ces titres prennent de la valeur mais le moindre doute sur la poursuite des évolutions les fait chuter. Or, on perçoit un retournement de ce marché dès les années 2005/2006 : ceci est le point de départ d’une crise gigantesque, d’abord aux Etats Unis puis dans les pays dont les banques sont très liées aux banques américaines. Ainsi l’Espagne est-elle touchée de plein fouet par la crise. Cette crise prend une grande ampleur, ce qui met en évidence la dimension systémique. Un certain nombre de banques fait faillite, les autres sont sauvées grâce à l’intervention des Etats ce qui augment la dépense publique ; ces Etats sont pour un grand nombre d’entre eux fortement endettés depuis longtemps déjà (par exemple en France le dernier excédent budgétaire date de 1975).la crise des subprimes participe à la montée de l’endettement et ces dernières années ont été marquées par le gonflement des dettes souveraines. Il semble aujourd’hui qu’on n’ait pas réellement trouvé les moyens de sortir de ces difficultés, comme l’attestent les risques de faillite de certains états comme la Grèce et les taux de chômage dans ce pays mais aussi en Italie et en Espagne … et  les débats se multiplient autour de la question de la sortie de crise. On peut renvoyer l’étudiant au chapitre relatif aux politiques économiques .Et on peut aussi lui conseiller la lecture de l’ouvrage de A.Orléan : « l’empire de la valeur, refonder l’économie » et encore celle de l’ouvrage de G.Giraud : « l’illusion financière ».

Enfin il faut noter que Edmund Phelps, Prix Nobel d’économie 2006, déclare dans un ouvrage à paraitre que l’histoire de l’innovation s’est arrêtée à la fin des années 1960 et il voit là l’explication majeure des difficultés rencontrées par les économies. (Le MONDE, 29/08/2013)

 

C - Récapitulatif de quelques repères bibliographiques

1-la révolution industrielle, J.P.Rioux, Seuil 1971

2-Essai sur le principe de population, Malthus, INED 1980

3-Principes d’économie politique, A.Marshall, 1890

4-La théorie générale, J.M.Keynes, Payot pour la traduction française, 1969

5-La croissance française, E.Malinvaud, J.J.Carré, P.Dubois, 1972

6-Les dividendes du progrès, P.Massé, P.Bernard, Seuil, 1969

7-Le système des objets, 1968 ; La société de consommation, J.Baudrillard, 1970, Gallimard

8-La crise n’est pas ce que l’on croit, Economica, 1981

9-Le capitalisme historique, I.Wallerstein, La découverte, 1985

9-Le nouveau capitalisme, D.Plihon, La découverte, 2003 

10- La crise de 1929, P.C.Hautcoeur, La découverte, 2009