Croissance et fluctuations depuis le XIXème

Dossier corrigé

SUJET : quel rôle respectif peut-on attribuer à la consommation et à l’investissement dans la croissance et les fluctuations aux XIX et XX° siècle dans les pays occidentaux ?

Même si il a existé des périodes de croissance c'est-à-dire d’augmentation des richesses avant le XIX° siècle on peut considérer que c’est à partir de cette période que les économies et sociétés occidentales se sont vraiment engagées dans des processus de croissance. Mais ces processus n’ont pas été réguliers. Ils se sont accompagnés de fluctuations qui ont ponctué à intervalles plus ou moins irréguliers le déroulement de la croissance. La croissance que l’on peut définir comme l’augmentation durable du PIB a fait l’objet d’analyses de plus en plus importantes au cours du temps et on a cherché à savoir comment elle était générée, comment on pouvait augmenter le taux de croissance mais aussi pourquoi à certains moments il pouvait y avoir un ralentissement de la croissance, ou même une diminution du PIB sur des périodes plus ou moins longues, ce qu’on a appelé récession ou dépression selon la durée des mouvements.

Le développement de la comptabilité nationale à partir des années 1950 a permis des approches statistiques qui sont venues étoffer les approches théoriques : quels enseignements peut-on tirer des chiffres et des équations comptables ? Comment expliquer la croissance du PIB ?

Le PIB c'est-à-dire le produit intérieur brut représente les ressources qui sont à la disposition des  consommateurs et des entreprises. L’augmentation du PIB désigne donc une augmentation des ressources disponibles. Ces ressources sont destinées à être utilisées : c’est ce qu’illustre le tableau « Entrées –sorties » de la comptabilité nationale. Comment les ressources sont elles utilisées ? On peut rappeler les grandes lignes de ce tableau :

PIB + Importations=Consommation intermédiaire+ consommation finale+FBCF+Exportations+Variations de Stock.

Il apparait aussitôt que la consommation (finale) et l’investissement (FBCF) sont des utilisations des ressources crées, c'est-à-dire du PIB.IL en résulte que on peut se poser la question suivante : Si l’on regarde ce qui s’est passé depuis le XIX° siècle et les débuts de l’industrialisation, qu’est ce qui peut bien expliquer la croissance : la consommation ou l’investissement ou les deux ?Et si l’on veut augmenter le taux de croissance, sur quoi faut-il compter : la consommation ou l’investissement ?

Si cette question apparait être d’une brulante actualité (politiques d’offre contre politiques de la demande) il n’en demeure pas moins qu’elle semble avoir été au cœur des préoccupations des individus qu’ils fussent consommateurs, entrepreneurs, théoriciens, ou même décideurs politiques depuis longtemps.

Consommation et Investissement sont les deux sources de la croissance, il ne faut donc pas choisir : les périodes de forte croissance ont été des périodes au cours desquelles il y avait une augmentation des quantités consommées et de l’investissement tandis que les périodes de récession et e dépression ont été marquées par la faiblesse de ces deux agrégats. Et aujourd’hui alors que dans les économies anciennement développées on déplore la faiblesse du taux de croissance, il semble a priori qu’il faille agir en direction à la fois de la consommation et de l’investissement.

Et en amont de ces préoccupations la question centrale est donc celle de la politique à mener pour maintenir ou rétablir un taux de croissance considéré comme optimal au regard des caractéristiques des pays c’est à dire au regard de l’histoire mais aussi des normes en terme notamment de qualité de vie et des normes environnementales.

Nous montrerons donc que la consommation et l’investissement entretiennent de manière complémentaire la croissance. Et que c’est aussi parce que la consommation et l’investissement nourrissent tous deux la croissance qu’il ne faut pas négliger l’un des deux au risque de voir l’économie basculer dans la crise. Enfin à la lumière des difficultés économiques actuelles nous montrerons que la relation entre consommation et investissement pour assurer la croissance est sans doute de plus en plus complexe ce qui pose la question de la bonne politique économique à mette en place pour assurer la croissance.

I - La consommation et l’investissement sont au cœur des processus de croissance depuis la période appelée traditionnellement le décollage. Cette affirmation peut être étayée à partir de différents angles d’attaque : tout d’abord on peut observer la complémentarité entre ces deux grandeurs quand on s’intéresse à la croissance dans l’histoire des économies depuis le XIX siècle, on peut en expliquer les mécanismes et on peut se référer aux travaux des auteurs.

A) Si chaque période est évidemment marquée par des spécificités qui sont liées à un contexte politique, institutionnel, démographique et social, il n’en demeure pas moins que l’on peut lier de manière générale consommation et investissement pour expliquer la croissance depuis le XIX°siècle et sans doute de manière plus marquée depuis le XX° siècle

On peut l’illustrer par exemple à partir de plusieurs exemples : la croissance industrielle au XIX° siècle, l’émergence du fordisme dans les années 1920 puis son développement pendant les 30 Glorieuses.

AU XIX° siècle, l’expansion se réalise autour d’une ou deux industries motrices qui exercent des effets d’entrainement sur l’ensemble de l’économie. Le développement des chemins de fer, des industries sidérurgiques et mécaniques met bien en évidence les interdépendances entre la consommation et l’investissement : par exemple les investissements dans le chemin de fer ne sont possibles que parce qu’ il y a une demande de transport et cela depuis la première liaison entre Liverpool et Manchester en 1830(Rosier, les théories des crises économiques)Cela entraine une conjoncture favorable à la fois aux profits et aux salaires qui nourrit des anticipations positives qui permettent d’installer le système dans une croissance durable. Plus tard Le fordisme est mis en place aux Etats Unis et consiste en cette stratégie qui cherche à associer le consommateur à la croissance en lui permettant d’acheter donc de consommer les produits que son travail réalisé sur des machines et plus particulièrement son travail à la chaine dans l’industrie automobile a contribué à créer. Ford a bien compris que la seule façon d’assurer des débouchés aux firmes est de distribuer aux salariés un salaire conséquent. Mais en même temps, comme les salaires sont un coût, il faut augmenter la productivité donc investir, innover et standardiser ce qui est déjà au cœur des stratégies tayloriennes depuis le début du XX° siècle.

On retrouve cela à une échelle bien plus grande pendant les 30 Glorieuses et c’est l’ensemble du système qui est alors concerné par cette complémentarité. Tant les éléments sont liés tant il est difficile de trouver un élément moteur de la croissance. C’est une période où il y a des gisements de productivité colossaux notamment en France et qui n’attendent qu’une allumette pour embraser tout le système : Les gains de productivité permettent une augmentation du gâteau à partager et même si il demeure des inégalités, tout le monde, certes à son rythme, en profite. Ce sont les dividendes du progrès dont parle P.Massé. Ces gains sont liés en amont à des investissements qui ont à ce moment une double nature : à la fois de capacité et de productivité ; ils permettent une production plus importante et plus rapide et le prix relatif des biens produits diminue par rapport au salaire. Ces investissements n’ont de sens que parce qu’il y a une augmentation de la demande finale mais celle-ci se manifeste parce que il y a une augmentation du pouvoir d’achat des « travailleurs-consommateurs », ce qui met en évidence une sorte de cercle vertueux, « Offre/Demande » et qui est illustrée concrètement par l’augmentation des taux d’équipement des ménages en machineries domestiques diverses.

B ) Mais la croissance prend sa source au sein des entreprises. Comment peut-on mettre en évidence la complémentarité entre la consommation et l’investissement au sein de la firme ? Le modèle standard de la microéconomie enseigne que la combinaison entre les facteurs travail et capital aboutit à un produit qui est écoulé sur le marché de concurrence parfaite. La croissance de la firme est obtenue par une augmentation des quantités de facteurs utilisés et/ou par des gains de productivité. L’augmentation des quantités de capital (qui se traduit concrètement par une augmentation de la quantité d’équipement dans l’entreprise) participe à l’augmentation de la taille de la firme et est le résultat de l’investissement par définition. Associée à une quantité de travail croissante elle aussi à un rythme proportionnel ou non à l’augmentation de la quantité de capital, cette situation permet à la firme d’avancer sur le sentier d’expansion. On voit bien le rapport entre l’investissement réalisé dans l’entreprise et l’augmentation de sa taille, donc sa croissance. D’ailleurs l’expression même d’ « investissement de capacité » désigne cette qualité qu’a l’investissement de permettre la hausse des « capacités » c'est-à-dire la croissance. Mais le rôle de la consommation est plus complexe dans ce modèle. L’idée est que l’entreprise qui met des produits sur le marché n’a aucune contrainte de débouché suivant en cela la loi des débouchés de J.B.Say. Elle peut donc augmenter les quantités produites sans risque à condition qu’elle suive les règles de la concurrence parfaite mais ceci est mécanique puisque le fait de déroger aux principes de la concurrence (contrainte de prix, contrainte de rémunération des facteurs de production…) l’exclut immédiatement du marché. Donc l’augmentation des quantités produites grâce à l’investissement trouve des débouchés automatiquement : l’offre (c’est à dire la production mais aussi l’investissement) crée sa propre demande c'est-à-dire que l’investissement crée la consommation. Et en agrégeant les données microéconomiques, on retrouve ce qui a été vu plus haut : la consommation et l’investissement sont bien complémentaires dans l’explication de la croissance, mais c’est une sorte de complémentarité automatique !

Ces mécanismes sont donc par trop simplificateurs et on peut réfléchir à la façon dont les firmes ont cherché à assurer leurs débouchés dans un cadre qui est plus proche de la réalité et qui est celui de la concurrence imparfaite. Dès les années 1930, Chamberlain analyse les processus de différenciation des produits mis en place par les firmes pour s’assurer un pouvoir de marché. Ces stratégies de différenciation sont au cœur du fonctionnement des entreprises pendant les 30 Glorieuses. En même temps que les produits sont standardisés les firmes s’attachent leurs clients en réfléchissant au petit point de détail qui fera la différence par rapport au concurrent…et elles investissent en fonction de cela, on assiste bien à un formidable cheminement qui va de l’investissement à la consommation et qui retourne à l’investissement et ainsi de suite…

C ) L’ analyse économique fournit un certain nombre de paradigmes qui permettent de bien comprendre la complémentarité de la consommation et de l’investissement dans l’analyse historique et théorique de la croissance. La complémentarité de la consommation et de l’investissement c’est d’abord l’illustration de ce que l’économie fonctionne comme un circuit, premier paradigme. Quesnay est le premier auteur à le mettre en évidence. Chaque classe de la société participe à l’harmonie de l’ensemble. Toutes les classes sont liées au sein d’un circuit qui va de la production à la distribution de la valeur. Par extension on peut considérer que consommation et investissement sont deux pôles de ce circuit.

Mais c’est surtout Keynes qui met en évidence les liens forts entre consommation et investissement parce que justement il est marqué par ce qu’il observe dans les années1030 : l’équilibre entre la consommation et l’investissement est rompu, ce que n’ont pas vu les investisseurs qui ont trop cru en la loi des débouchés : ceux-ci ne sont pas assurés automatiquement, il faut intervenir dans l’économie pour assurer aux entreprises des débouchés : comment ? C’est alors qu’il faut faire entrer en scène le mécanisme du multiplicateur. La décision d’injecter de la monnaie dans l’économie pour déclencher des opérations d’investissement ce qu’on voit par exemple au moment des grands travaux aux Etats-Unis dans les années 1930 permet de comprendre cette complémentarité entre la consommation et l’investissement. Ces grands travaux se traduisent par des commandes publiques notamment à des fournisseurs qui voient ainsi leur activité se développer, ce qui a entre autres conséquences positives une augmentation de l’emploi et /ou de la rémunération du travail ce qui se traduit, pour un taux d’épargne donné par une augmentation de la consommation. On peut bien se représenter cela de manière statique mais aussi dynamique : c'est-à-dire à un moment donné on comprend bien la relation mais il faut aussi l’envisager en pensant au mouvement dans l’économie, c'est-à-dire que c’est bien le supplément d’investissement qui doit être conforté par un supplément de demande, mais aussi, un supplément de consommation qui va susciter une hausse de l’investissement ce qui est le cœur de la thèse d’ Aftalion : l’investissement est expliqué par la croissance de la demande et l’augmentation de l’ investissement est expliqué par la dérivée seconde de la demande c’est à dire par son accélération. Ainsi les investissements croissants dans les années 1960 ne l’ont ils été que parce que les anticipations relatives à l’augmentation ce la demande étaient tout à fait positives.

 

Transition :

Il y a donc une relation forte entre consommation et investissement, qui sont deux agrégats qui permettent de nourrir la croissance. On peut l’observer et on peut l’analyser comme nous venons de le voir. Si l’on revient sur la question de la différence entre approche statique et approche dynamique, il apparait alors un nouvel éclairage : C’est sans doute le déséquilibre entre la consommation et l’investissement qui explique au moins en partie les crises et les fluctuations qui se sont succédé depuis le XIX° siècle.

II On peut observer ce qui s’est passé au cours des crises et des récessions et dépressions qui ont traversé les pays depuis le XIX° siècle et profiter des travaux des auteurs pour en dégager des analyses sur les rapports de la consommation et de l’investissement en période de difficultés économiques.

A ) Tout d’abord il faut remarquer que un certain nombre de crises au cours du XIX° siècle demeurent des crises d’ancien régime c'est-à-dire des crises qui sont d’abord expliquées par des phénomènes climatiques qui viennent désorganiser la production agricole à un moment où celle-ci représente une grande partie de la production de richesses. Cela se traduit par des disettes liées à la faiblesse de l’offre agricole : dans ce cas la volonté d’établir un lien entre consommation et investissement dans l’explication des crises et du marasme économique n’a qu’un intérêt limité.

Mais le développement des productions industrielles va mettre en évidence cette question du rapport entre consommation et investissement. Par exemple, B.Rosier montre bien dans « les théories des crises économiques » comment se produit le déséquilibre qui va faire basculer l’économie dans la crise puis la dépression. La poursuite des investissements et l’augmentation des productions créent les conditions de la rupture quand la demande ne suit plus. Les anticipations de profit deviennent pessimistes, et si l’expansion s’est réalisée autour de quelques industries motrices qui ont eu des effets d’entrainement sur l’ensemble de l’économie, de la même façon le déséquilibre parti d’une activité particulière ( chemins de fer, sidérurgie, mécanique) va se diffuser à l’ensemble de l’économie et puisque le système est un circuit, on assiste à des réactions en chaine : à la fois dans la sphère économique mais aussi sociale : chute des prix, chute des profits, chute des salaires, faillites, chômage, misère ouvrière. Et c’est ainsi qu’entre 1816 et 1914 on ne compte pas moins de 12 crises économiques ! Et on voit bien l’aspect dynamique de ces situations : c’est la simple variation d’une grandeur jouant un rôle important dans l’économie qui produit des réactions en chaine. On ne peut laisser de coté la question de la crise de 1929 qui nous semble être un bon exemple de l’articulation entre la consommation et l’investissement. La crise de 1929 s’inscrit bien dans le schéma des crises classiques et des fluctuations se manifestant 8 ans après la crise de reconversion de 1921.Elle fait suite à une période d’expansion économique depuis 1922 elle-même liée aux applications de la seconde révolution industrielle, applications industrielles de l’électricité, du moteur à explosion et de la chimie ; les innovations notamment dans le domaine de l’organisation du travail permettent d’augmenter la productivité apparente du travail : «  les conditions de la production de masse sont dès lors réunies »(B.Rosier).Mais la répartition des revenus est inégale et si le salaire est un coût il est aussi un revenu et le support de la consommation. Et le fait de maintenir les salaires à un niveau faible empêche la consommation de jouer son rôle : être le débouché de productions croissantes. On voit immédiatement le déséquilibre qui va résulter de cela et qui montre une fois encore l’importance des ces deux piliers de l’activité : la consommation et l’investissement.

B ) Les travaux théoriques permettent d’affiner les analyses des rapports de la consommation et de l’investissement dans les mécanismes de fluctuations. Quels sont donc les auteurs qui nous permettent d’avancer dans la compréhension ? Nous pouvons évoquer les analyses classiques par exemple en France celle de J.Rueff qui considère que toute crise est conjoncturelle et que le moyen d’en sortir est de libérer le marché de toute entrave. Il ne s’agit donc pas d’un problème de déséquilibre entre la consommation et l’investissement mais d’un « défaut » systémique de l’organisation : on ne respecte pas les règles de la concurrence parfaite : nous laissons de coté ce type d’analyse qui s’appuie sur une représentation extrêmement éloignée de la réalité et qui repose aussi sur le rejet de l’intervention de l’Etat.

Par contre la référence à Galbraith nous semble tout à fait importante. Galbraith insiste bien sur l’écart qui s’est creusé entre l’augmentation de la productivité du travail et la quasi stagnation des salaires et des prix au moment de la crise de 1929. Ceci se traduit par de grandes inégalités de revenus : les détenteurs de profits bénéficient de l’augmentation des revenus du capital justement permise par la hausse de la productivité et le maintien des salaires à un niveau plus bas que ce que permettrait la hausse de la productivité. Ce faisant les entreprises se privent de leurs débouchés alors même qu’elles ne cessent d’investir davantage galvanisées par les profits croissants. Ce mécanisme déjà présent au XIX° siècle prend une ampleur bien plus grande avec la crise de 1929.On retrouve en fait cette idée de déséquilibre chez Aftalion qui dès 1909 nous dit que « la cause immédiate de la crise consiste en la capacité de forces productives trop accrues d’ encombrer les débouchés par la masse de marchandises précipitamment manufacturées »(revue d’économie politique, n.2, 1909) Nous pouvons remarquer l’importance du mot « précipitamment »  qui montre bien que l’action économique doit se faire en prenant le temps de « réfléchir » à l’équilibre : trop investir, c'est-à-dire investir sans tenir compte des débouchés donc de la consommation, c’est provoquer à coup sûr une crise. Les fluctuations sont donc la succession de mouvements opposés : surcapitalisation quand la consommation ne suit pas d’une part, sous capitalisation quand les moyens de production, résultat de l’investissement, sont insuffisants par rapport à la demande d’autre part.

Keynes ne reprend pas à son compte les analyses d’Aftalion, notamment le modèle de l’accélérateur qui donne à la variation de la demande un rôle moteur dans l’explication de l’investissement; néanmoins son analyse va dans le même sens : l’économie est dans l’histoire et le système doit être régulé par les institutions. Et surtout Keynes à travers le paradigme des anticipations nous permet de comprendre combien investissement et consommation sont liés. Les difficultés économiques sont expliquées par une insuffisance de la demande effective c'est-à-dire par des anticipations négatives de la part des entreprises concernant la demande finale, ce qui décourage l’investissement. Le circuit keynésien met bien en évidence que la dépense totale est la somme de la dépense d’investissement et de la dépense de consommation. On comprend bien que la faiblesse de l’une de ces deux composantes a des conséquences négatives sur l’ensemble du système. D’ou l’importance que prend la propension à consommer. Plus celle-ci est grande (proche de 1) plus le multiplicateur est efficace.

Transition

Ainsi non seulement les observations des situations économiques mais aussi les analyses théoriques nous confortent dans cette idée que consommation et investissement sont liés. Ceci est vrai dans des situations de croissance et vrai aussi en cas de crise. Mais la question n’est pas réglée pour autant et l’examen de la période actuelle permet d’approfondir les analyses.

III ) La période actuelle permet de nouveaux éclairages.

La situation actuelle est caractérisée par des grandes difficultés économiques : en simplifiant stagnation du pouvoir d’achat et anticipations négatives (ce qui apparait par exemple dans les medias à travers les enquêtes fréquentes sur le moral des consommateurs) brident la consommation mais aussi faiblesse du taux de marge des entreprises qui ont aussi des anticipations négatives ce qui gêne l’investissement (la relation taux de marge/investissement serait à analyser de plus près mais ce n’est pas notre sujet)

Nous pouvons donc nous demander pourquoi on n’agit pas à la fois en faveur de la consommation et de l’investissement puisque tout le monde s’accorde à dire que la consommation et l’investissement sont deux agrégats nécessaires à la croissance et que l’histoire enseigne que la faiblesse de l’une ou l’autre de ces grandeurs a des conséquences négatives sur l’économie. C’est à dire pourquoi ne cherche-t-on pas à assurer la croissance de la consommation et l’investissement, les consommateurs seraient satisfaits de pouvoir consommer et les entreprises satisfaites de voir leurs débouchés assurés grâce à des produits eux-mêmes résultats d’innovations !

Cette représentation est un peu simplifiée et La réalité est en fait bien plus complexe.

 A ) La période actuelle met cruellement en évidence le fait que les ressources sont limitées et donne une nouvelle envergure au paradigme de la rareté : les ressources en période de crise sont plus rares et donc les contraintes sont plus rudes et les choix s’imposent de plus en plus. C’est la fameuse question des dividendes du progrès mais à l’envers. C’est à dire quand le gâteau rétrécit, les parts du gâteau sont plus petites et les sommes allouées par exemple à la rémunération du travail ce qui nourrit la consommation sont plus faibles et on peut faire le même raisonnement pour les sommes allouées à la rémunération du capital ce qui (en simplifiant) nourrit l’investissement.

Il va donc falloir privilégier l’un des deux pôles, or la consommation représente dans les économies occidentales plus de 50% du PIB.C’est à dire que la contribution de la consommation à la croissance est très forte : par exemple quant la consommation augmente de 1%, elle assure du même coup 0,5 % de croissance nationale. Mais on ne peut s’arrêter à ce raisonnement : en effet une économie qui s’appuie trop sur la consommation ne tarde pas à voir s’épuiser les sources de sa croissance : en effet si on investit peu, on innove peu, donc les produits se banalisent ce qui démotive les consommateurs et ce qui épuise ce modèle trop fondé sur «  l’aval » et pas assez sur «  l’amont ».Certes les conséquences d’une politique favorisant la consommation sont immédiates, par exemple la hausse du pouvoir d’achat à travers une diminution de la TVA , ou une hausse des salaires faibles et moyens c'est-à-dire ceux dont les détenteurs ont une forte propension à consommer. En fait ces politiques favorisent le court terme au détriment du long terme et pour reprendre les mots de P.Artus, c’est une façon de ruiner nos enfants puisque on a oublié de se projeter dans l’avenir.

Donc, dans ces conditions il faut plutôt favoriser l’investissement et notamment l’innovation qui est le seul moyen de mettre sur le marché des produits qui vont doper la consommation. Oui mais on se heurte à un grand problème qui apparait central en ce moment : si l on investit, les résultats ne peuvent apparaitre qu’à long terme alors même que les consommateurs sont pressés de voir leur pouvoir d’achat augmenter, c'est-à-dire ont une préférence pour le présent : c’est tout simplement un conflit entre le court terme et le long terme.

B )  La période actuelle met aussi en évidence que les choix peuvent échapper en partie aux économistes  et être déterminés par des contraintes institutionnelles ou politiques. On peut le mettre en évidence aujourd’hui quand on examine les décisions qui sont prises au sein de l’Union européenne. Une des caractéristiques des crises en général et donc de celle-ci est le resserrement de la rareté. Et c’est cela qui guide les politiques suivies qui sont des politiques de rigueur au sein de l’Union. Ces politiques cherchent à rétablir l’équilibre budgétaire dans les économies marquées par le déficit et la dette publiques par une augmentation des impôts et/ou une réduction de la dépense publique. L’exemple de la Grèce est connu de tous. Devant les risques pour la consommation et l’investissement, c’est à dire pour la croissance que représentent ces politiques, des économistes comme J.Stiglitz ou P.Krugman sont intervenus pour affirmer que le seul moyen de sortir des difficultés, dans la mesure où les économies se trouvent dans ce que Keynes a appelé la trappe à liquidité, est de faire « fonctionner » le multiplicateur keynésien. Mais cela n a de sens qu’au n niveau de l’Union dans son ensemble, ce que J.Delors appelait dans les années 1990 le keynésianisme à l’échelle mondiale. Cela imposerait de desserrer l’étau financier dans lequel se trouvent les économies endettées notamment par la mutualisation des dettes au sein de l’Union. Pourquoi ne le fait-on pas ? Sans doute parce que si tout le monde s’accorde sur le diagnostic, il n’en n est rien pour les remèdes et on voit alors réapparaitre le conflit entre les partisans keynésiens de la relance et les autres qui pensent que la rigueur financière est le préalable obligatoire à la remise de l’économie sur le chemin de la croissance : croissance du PIB mais aussi bien sûr de ses composantes donc de la consommation et de l’investissement. Ce qu’il y a derrière c’est à nouveau l’opposition entre théoriciens de l’offre et théoriciens de la demande .Mais ce n’est pas tout : en effet si on ne met pas en route le multiplicateur keynésien c’est pour des raisons de pouvoir inégal entre les pays au sein de l’Union : au sein de l’Union, un pays comme l’Allemagne a à la fois une grande puissance économique dopée par les exportations et un pays qui se rapproche de l’équilibre budgétaire et qui n’est pas favorable à la mutualisation des dettes considérant que chaque pays doit mettre en place la stratégie nécessaire pour parvenir à l’équilibre budgétaire. Ces divergences entre les points de vue expliquent au moins en partie les difficultés à mettre en place une politique qui permette de relancer à la fois la consommation et l’investissement.

C) Imaginons que l’ensemble des pays s’accorde sur la question de la nécessité de la relance de la consommation et de l’investissement en mettant en jeu le multiplicateur keynésien. Tous les problèmes ne seraient pas réglés pour autant. En effet, l’économie est aujourd’hui mondialisée, la hausse de la demande dans un pays déterminé grâce à des politiques de relance de la consommation dont on anticipe les conséquences favorables en amont sur l investissement peut se traduire par une demande d’importations qui relance l’activité mais dans un pays partenaire : globalement ceci est une bonne chose mais localement cela se traduit par le maintien des difficultés pour les entreprises dont les productions sont délaissées au profit des productions concurrentes : il apparait là une sorte de conflit « local/international » et l’investissement réalisé dans le pays considéré n’ est pas rentable puisque il se heurte à une absence de débouchés , une faiblesse de la consommation de produits nationaux.

C’est donc qu’assurer la croissance par l’augmentation de la consommation et de l’investissement impose d’être compétitif c‘est à dire il ne suffit pas de dire que il faut plus de consommation et plus d’investissement pour plus de croissance il y a aussi un problème qualitatif : quelle consommation, quelles innovations pour quelle croissance ?

Tout d’abord Schumpeter a bien montré que les innovations doivent être analysées sous un angle dynamique : les innovations ont une durée de vie limitée, elles permettent de produire de nouveaux biens ou de gagner en productivité grâce à de nouveaux processus de production mais elles sont cesse concurrencées par de nouvelles innovations qui rendent les précédentes obsolètes, cela signifie qu’il n’y a pas de répit pour l’innovateur. Mais quoi choisir, vers quelles innovations orienter la stratégie ? Ces questions sont récurrentes. Si l on décidait aujourd’hui de consacrer des sommes colossales à la relance de la sidérurgie il n’et pas certain que cela aurait un fort impact sur la croissance mais par contre aurait un coût important. Mais la question c’est aussi celle des biens de consommation qu’il faut produire. Quand Sony dans les années 1990 axait sa publicité sur le rêve : « je l’ai rêvé Sony l’a fait », aujourd’hui la publicité doit intégrer par exemple des préoccupations en termes de développement durable. Tout cela pour dire qu’il ne suffit pas de dire qu’il faut innover et consommer : il faut savoir vers quel type d’innovations et vers quels types e produits on doit orienter les stratégies. Ainsi E.Combes parle-t- il dans un articlai du journal Le Monde du 25/09/2012 du piège du milieu de gamme : les difficultés économiques poussent les consommateurs à des arbitrages : certes l’achat d’un billet d’avion Easy Jet est courant y compris chez des consommateurs à pouvoir d’achat élevé mais il n’est pas question en tous cas pour certains d’entre eux de faire des économies sur des parfums ou des lunettes griffées : dans ce contexte le milieu de gamme n’ a aucune place mais en même temps les stratégies de valorisation par le haut sont délicates car elles sont totalement contraintes par le pouvoir d’achat des consommateurs. Et les consommateurs ne constituent pas un groupe homogène : ils ne privilégient pas tous les mêmes produits

Cette analyse nous a donc permis de mettre en évidence que la consommation et l’investissement sont tout simplement des compléments dans la croissance. Mais il y a loin du constat à la mise en place de stratégies permettant d’assurer un fort taux de croissance.

Enfin même si on parvient à agir à la fois en faveur de la consommation et de l’investissement, il faut se poser une ultime question : quel type de consommation et quel type d’investissement certes mais pour quel type de croissance et même au-delà faut-il nécessairement rechercher des taux de croissance sans cesse plus importants mais c’est un autre débat.