Notion

NAIRU

“I have become convinced that the NAIRU is a useful analytical concept. It is useful as a theory to understand the causes of inflation. It is useful as an empirical basis for predicting changes in the inflation rate. And, it is useful as a general guideline for thinking about macroeconomic policy"
Joseph Stiglitz (1997)
 
“However one views the operational relevance of a Phillips curve or the associated NAIRU (and I am personally decidedly doubtful about it) there has to be a limit to how far the pool of available labor can be drawn down without pressing wage levels beyond productivity”
Allan Greenspan (2000)

Remarques devant le Economic Club of New York.
 

Définition

Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment (NAIRU) ou taux de chômage compatible avec une inflation stable, le NAIRU représente le taux de chômage en-dessous duquel il est impossible de descendre sans risquer de faire monter les prix. On parle encore de taux de chômage naturel ou structurel. Son niveau effectif dépend des circonstances de temps et de lieu car il repose, pour une part importante, sur des réactions psychologiques quant au salaire de réserve, sur l'importance et la durée des allocations de chômage et, d'une manière générale, sur les anticipations des agents économiques en matière d'inflation ou de croissance.

 

Analyse

La théorie du NAIRU est apparue quand la vieille relation de Phillips a montré ses limites dans les années 1970, c'est-à-dire quand le chômage a continué à croître alors même que l'indice des prix dépassait les dix pour cent de croissance annuelle. Pour les fondateurs de l'approche moderne de ce concept, Richard Layard et Stephen Nickell, il s'agissait d'abord de rendre compte de ces spirales prix-salaires que les politiques économiques ne paraissaient pas pouvoir enrayer.

Ces auteurs ont d'abord défini les conditions pour qu'il y ait stabilité de l'inflation : il faut qu'il y ait cohérence entre la façon dont les salariés fixent leurs revendications salariales par rapport aux prix et la façon dont les chefs d'entreprises fixent leurs prix par rapport aux salaires. L'inflation sera stable si et seulement si le salaire réel désiré par les salariés est identique à celui que les entreprises peuvent supporter compte-tenu des technologies existantes et de l'intensité de la concurrence. La variable qui permet d'assurer la cohérence de ces aspirations est le taux de chômage. En définitive, il permet d'apporter la paix dans la "bataille des marges" que se livrent en permanence les wage-setters (salariés) et les prices-setters (chefs d'entreprise).

Dans un contexte stabilisé, le NAIRU est égal au chômage d'équilibretaux de chômage quasi-incompressible résultant de la mobilité du travail et du laps de temps nécessaire pour retrouver un nouvel emploi). Mais il en va différemment si l'économie est soumise à des chocs d'offre auxquels elle s'ajuste lentement. Si par exemple survient une rupture dans la tendance de la productivité globale des facteurs, comme cela a été le cas à la fin des années soixante-dix (dans le sens du ralentissement) ou comme c'est le cas aux États-Unis dans les années 1990 (dans le sens d'une accélération), les aspirations salariales s'ajustent lentement, et les autres paramètres qui conditionnent le chômage d'équilibre plus lentement encore. Un chômage supérieur ou inférieur à sa valeur d'équilibre peut donc temporairement aller de pair avec la stabilité de l'inflation.

Le NAIRU a des implications claires pour la politique économique :

1. Si le taux de chômage courant est inférieur au NAIRU, la demande de travail de la part des entreprises ne peut être satisfaite. Elles tenteront de débaucher des salariés déjà en activité en leur offrant un salaire supérieur. La hausse des salaires sera indépendante des progrès de productivité et ne pourra être financée que par une hausse des prix. Dans ce cas, la politique économique adéquate est restrictive.

2. Si le taux de chômage courant est supérieur au NAIRU, deux cas de figure peuvent se présenter :

a. Si le marché du travail est globalement exempt de rigidités structurelles, il est possible de stimuler l'économie sans risque d'inflation. Cette stimulation, dans l'optique de la nouvelle macroéconomie keynésienne qui est celle de Layard et Nickell se fera par une action monétaire, le plus souvent par une baisse des taux d'intérêt.

b. Si le marché du travail est rigide, il est possible que le taux de chômage provienne de ces rigidités, telles que les conditions d'embauche et de licenciement par exemple. Les politiques économiques devront porter prioritairement sur ces points structurels pour rendre leur efficacité aux politiques monétaire, voire budgétaire.

On le voit, l'approche en terme de NAIRU se différencie des formes anciennes de la courbe de Phillips en intégrant la notion de croissance potentielle et surtout en reconnaissant le rôle joué par les anticipations d'inflation dans les négociations salariales.

 

So far from Lord Keynes !

On est bien loin du keynésianisme de Keynes. Voyons ce qu'en pense un néo-keynésien contemporain, Gregory Mankiw : "Pensez-vous que le concept de NAIRU et celui de taux naturel découlent de la même idée ? Je les considère comme fondamentalement identiques. La plupart des modèles néo-keynésiens font apparaître une sorte de taux naturel. En ce sens, Milton Friedman a gagné le débat" (interview de 1993, citée par B. Snowdon, H. Vane et P. Wynarczyk,1997).

Pour comprendre à quel point l'on s'est éloigné de Keynes, il faut souligner que le NAIRU résulte de la conjonction d une double situation de concurrence imparfaite sur les marchés des biens et du travail qui donne aux chefs d'entreprise et aux salariés le pouvoir de marché leur permettant de fixer les prix au-dessus du coût marginal et les salaires réels au dessus de la productivité marginale du travail. Puisque le NAIRU est le fruit des rigidités engendrées sur les deux marchés par la concurrence imparfaite, toute action visant à le réduire doit passer par un renforcement de la concurrence ; inversement, tout ce qui tend à accroître le pouvoir de marché des entreprises existantes ou des syndicats de salariés se traduit mécaniquement par une hausse du NAIRU. Logiquement, les préconisations de politique économique qui découlent de ce cadre d'analyse ont de quoi effrayer un keynésien old style : par exemple, réduire le pouvoir de marché des insiders et de leurs syndicats en améliorant la capacité des outsiders à les concurrencer sur le marché du travail (formation et requalification, subventions à l'emploi, réduction des coûts d'embauche et de licenciement).

 

Eléments critiques

L'utilité du NAIRU pour la politique macroéconomique fait l'objet de débats. Certains, comme Joseph Stiglitz, la jugent établie. D'autres, comme Alan Greenspan, sont plus dubitatifs. Il y a au moins deux motifs au scepticisme, sans compter les réserves théoriques. Le premier est que le taux d'inflation peut être affectée par une série de facteurs de court terme (inflation importée, effets dynamiques de chocs antérieurs, etc.), ce qui fait que le taux de chômage compatible avec sa stabilité instantanée peut, lui aussi, s'écarter du NAIRU. Il ne faut donc surtout pas voir dans ce dernier une espèce de barrière invisible dont il pourrait être déterminé quand et à quel prix elle est franchie.

Le second motif est de nature empirique. L'estimation du chômage structurel soulève des difficultés importantes, particulièrement dans le cas des pays européens où le chômage a depuis vingt ans, et jusqu'à une date récente, été affecté d'une tendance de fond croissante. Les évaluations disponibles ne livrent donc que des mesures imprécises, qui ont souvent eu tendance à suivre de près l'évolution du chômage effectif. Comme l'a montré l'expérience américaine des années 1990, les évaluations ex ante du NAIRU sont affectées d'un biais pessimiste en période de décrue du chômage.

Taux de chômage observé et NAIRU calculé dans la zone euro (1992-2004)

Source : "Le chômage "conjoncturel" existe-t-il en zone euro ?", ING Belgique, 2005, d'après l'OCDE

Note de lecture : La situation dans la zone euro serait voisine de la situation française : le taux de chômage serait à un niveau très proche de son étiage structurel.

L'économètre est en effet confronté à un dilemme : soit il postule la stabilité du NAIRU (aux facteurs explicatifs explicites près), mais cette hypothèse est peu probable, soit il se repose sur des techniques de filtrage qui tendent par nature à faire converger le NAIRU vers le chômage effectif.

Pertinence du concept, faiblesse des évaluations empiriques : quelles conclusions faut-il en tirer ?

D'un point de vue positif, il faut prendre son parti d'une situation inconfortable et compléter les estimations du NAIRU par des observations analytiques et l'examen de la conjoncture. L'estimation du NAIRU sur séries chronologiques (Time-varying NAIRU ou TV-NAIRU) permet, avec les méthodes économétriques modernes, de tenter de tenir compte de sa variation au cours du temps (Gordon, 1998 ; Irac, 2000). La contrepartie de ce choix méthodologique est la pauvreté des facteurs explicatifs du chômage que livrent ces analyses.

Le chômage d'équilibre est déterminé à la fois par les chocs (une augmentation des taux d'intérêt, un ralentissement du rythme de croissance de la productivité des facteurs…), par les institutions (le système d'allocation chômage, les trappes fiscales…) et par leurs interactions.

 

Conclusion

Différents éléments indiquent que le NAIRU ne doit pas être regardé comme intangible ou prédéterminé, mais bien comme un indicateur dont l'estimation évolue en fonction de facteurs structurels et conjoncturels… et en fonction du regard que porte l'économiste sur l'utilité des politiques macroéconomiques.

En effet, le NAIRU définit en première approximation une frontière : au-delà de ce seuil, la politique macroéconomique est efficace, en deçà le taux de chômage ne peut être durablement abaissé qu'en faisant appel aux politiques structurelles (fiscalité, formation, mobilité, et surtout fonctionnement du marché du travail et du marché des biens dans un sens plus concurrentiel). Il est donc important de cerner à quel niveau se situe cette frontière, pour pouvoir employer les différents instruments de politique économique à bon escient.

Mais l'incertitude règne sur le niveau du NAIRU. Les évaluations disponibles ont souvent fidèlement suivi l'évolution du chômage effectif. En Europe, le concept est devenu rapidement un champ de bataille entre ceux pour qui "tout est structurel"(Banque Centrale Européenne, Commission européenne…) et ceux qui sont favorables a des politiques macro ambitieuses. Les premiers produisent des études pour montrer à quel point le NAIRU est haut, très proche du chômage courant, et les seconds tirent les équations dans l'autre sens pour démontrer qu'il existe une marge de manœuvre substantielle pour les politiques conjoncturelles.

En dépit du fait qu'il existe plusieurs façons de calculer le NAIRU et de le comprendre, le concept a connu un succès certain auprès des décideurs de politiques économiques. On peut y voir une confirmation de la célèbre loi de la politique économique attribuée à Alan Blinder : "Les économistes ont le moins d'influence là où ils en savent le plus et sont tous d'accord ; et ils ont le plus d'influence là où ils en savent le moins et sont en désaccord".
 

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