Notion

Fusions-Acquisitions (F&A)

Définition

Les fusions entre entreprises aboutissent à ce qu'une entreprise A et une entreprise B créent une entreprise AB (cas d'une fusion entre égaux) ou Ab ou aB (la fusion asymétrique) ou C (la fusion est parfois l'occasion de changer de nom, voire d'activité). Les acquisitions permettent à une entreprise A de devenir une entreprise A+. Elles se font le plus souvent via une offre publique d'achat (OPA) et doivent être distinguées des simples prises de participation. Parfois la marque achetée disparaît, parfois elle reste (il reste des stations Amoco, Texaco et Mobil aux Etats-Unis, pourtant ces groupes ont été rachetés respectivement par BP, Chevron et Exxon). La frontière est floue entre ces deux types d'opérations puisque souvent ce qui est présenté comme une fusion relève en réalité de l'acquisition ou vice-versa, d'ou l'appellation mêlée F&A. Dans la plupart des cas, on a affaire à des acquisitions qu'il faut ensuite gérer et c'est alors que l'on parle de faire fusionner les équipes, les projets etc. pour dégager des synergies. Mais la question est ouverte de savoir si ces opérations sont in fine positives pour les entreprises concernées, pour les actionnaires, les salariés et les consommateurs : dans certains cas, small is beautiful.

Analyse

Les fusions-acquisitions (F&A) constituent un mode de croissance qui permet aux entreprises de renforcer leur position concurrentielle, d'accéder à de nouveaux marchés, de s'internationaliser, d'acquérir de nouvelles compétences et de se diversifier.

Toutefois, ce type d'opération est marqué par au moins trois difficultés :

1. Les fusions et acquisitions connaissent un taux d'échec très élevé. On parle communément d'un taux d'échec supérieur à 50%, quels que soient les indicateurs utilisés, boursiers ou opérationnels. Les plans stratégiques qui les commandent sont donc inégalement vérifiés.

2. Dès la fin du XIX° siècle, Alfred Marshall relevait la contradiction suivante : la course à la taille favorise a priori les situations oligopolistiques ; pourtant, l'augmentation de la taille des entreprises va de pair avec les besoins de la spécialisation qui pousse à créer de nouvelles entreprises.

      Les méga-fusions des années 1990 (ce qu'on voit : Exxon-Mobil, Chevron-Texaco, Vodafone-Mannesmann, Glaxo-SmithKline…) se sont ainsi accompagnées de créations massives d'entreprises et de la vente de nombreuses filiales (ce qu'on ne voit pas). En conséquence, en dépit d'un trend de concentration très net dans certains secteurs, les entreprises géantes voient globalement leur taille décliner par rapport au PIB dans les pays de l'OCDE (voir De Grauwe et Camerman, 2000).

Les cinq grandes vagues de F&A dans l'histoire

La plupart des grandes firmes américaines qui ont dominé le XXe siècle ont été crées vers 1900 grâce à des F&A géantes (GE, GM, Du Pont, Standard Oil…) ; c est le début des grandes sociétés multinationales ; le mouvement a été beaucoup plus tardif en Europe continental. Par la suite les vagues de fusions ont été plus modérées (du fait en particulier de la vigilance des autorités de la concurrence), sauf à la fin années 90. Les fusions horizontales dominent assez nettement le dernier quart de siècle, et les opérations prennent un tour de plus en plus international. Certains secteur comme l énergie semblent engagés dans un processus de concentration perpétuel mais il ne faut pas oublier l extrême éclatement initial de ce secteur aux Etats-Unis et surtout le fait que de nouveaux opérateurs apparaissent régulièrement.

Typologie des fusions

Un exercice classique consiste à classer les F&A dans trois grandes familles :

1) Les fusions horizontales

L'OPA d'Elf sur Total se termine par l'acquisition du premier par le second ; BNP et Paribas fusionnent leurs activités ; Renault et Nissan s'allient pour coordonner leurs activités…

Des entreprises dans le même secteur d'activité, directement concurrentes, mais avec parfois des métiers différents (banque de réseau pour BNP, banque d'affaires pour Paribas… pas vraiment le même monde !) ou sur des segments de marché éloignés (les gens de Fiat et de Ferrari fabriquent tous des voitures, mais…). Ce sont les opérations de loin les plus répandues de nos jours. Le but est de gagner en taille et de jouer sur les complémentarités. Encore faut-il réaliser une rationalisation des coûts pertinente (éliminer les doublons…) et faire travailler ensemble des équipes habituées à se combattre.

2) Les fusions verticales

Nouvelles Frontières rachète Corsair tandis que Coca-Cola prend le contrôle des embouteilleurs…

Il s'agit de prendre le contrôle d'entreprises au sein de la même filière économique, en amont ou en aval. Le but est de réduire les coûts de transaction et d'éliminer des intermédiaires, de faire pression sur les clients et les fournisseurs. Mais gérer des métiers variés et des compétences différentes n'est pas facile, les coûts de coordination ne doivent pas être sous-estimés. L'échec retentissant de AOL/Time-Warner pour faire jouer les complémentarités contenant/contenu est symptomatique. Il a été reproduit par Vivendi Universal. Sony et Matsushita avaient connu les mêmes difficultés avec les studios hollywoodiens une décennie plus tôt.

3) Les fusions conglomérales

Philip Morris se diversifie dans l'agroalimentaire, Preussag passe de l'acier au tourisme, Nokia passe du bois à la téléphonie sans fil…

Elles concernent des entreprises exerçant des métiers très différents. De "vieilles dames" peuvent ainsi investir des secteurs d'avenir, jugés plus rentables : Vivendi passe de l'eau à la communication, Bouygues ajoute les Télécoms au BTP, etc.

Cela comporte plusieurs avantages : le processus d'intégration et les rapprochements opérationnels sont réduits au minimum tandis que le cycle économique est en partie contré. Il est rare en effet que les secteurs de la santé, de la finance et des transports traversent en crise au même moment, ce qui contribue à la stabilité du groupe ; General Electric en est un bon exemple. Par contre, les inconvénients ne doivent pas être sous-estimés : l'absence de synergie voire une dérive vers des opérations de nature purement conglomérales, comme pour Tyco. A la mode durant les années 1960, dans un contexte de grande vigilance antitrust, les fusions conglomérales suscitent depuis les années 1980 la méfiance des marchés qui préfèrent désormais les acteurs spécialisés dans un seul métier (les "pure player").

Les catalyseurs macroéconomiques des F&A

Les facteurs explicatifs des fusions et acquisitions au niveau macroéconomique sont nombreux ; pour se limiter aux principaux, et ne retenir pour chacun que quelques exemples :

1) Les innovations techniques

On peut penser par exemple à la course à la R&D et à la montée vertigineuse du coût de développement de nouvelles molécules, phénomènes indissociables qui sont pour beaucoup dans certaines fusions du secteur pharmaceutique (exemple de la fusion entre le suédois Astra et l'anglais Zeneca en 1999). Souvent, de grand groupes bureaucratisés et/ou orientés "grand public" s'offrent à grand prix des PME innovantes afin de posséder leurs technologies, leurs brevets, leur dynamisme. C'est aussi bien la politique de Microsoft que d'IBM.

2) La mondialisation industrielle et financière

Pénétrer des nouveaux marchés, contourner les barrières aux échanges, trouver des compétences rares, optimiser les législations fiscales et réglementaires... Manifestement, un groupe comme Mittal Streel (né en Inde, géré depuis Londres, immatriculé aux Pays-Bas et présent sur quatre continents) correspond bien à ce schéma. On pourrait aussi citer la fusion Renault-Nissan : la holding est située aux Pays-Bas, une part importante des profits vient des Etats-Unis, le PDG est un français d'origine libanaise et brésilienne...

3) La libéralisation des échanges et l'intégration économique et financière dans l'Union Européenne

Un marché plus vaste pousse à la concentration : ce qui valait naguère pour la conquête de l'Ouest et aujourd'hui pour la mondialisation vaut pour le marché unique. Un certain nombre de groupes ont une dimension européenne affirmée qui se trouve facilitée par l'intégration politique sans cesse plus poussée, la monnaie unique, l'élargissement à l'Est et l'harmonisation réglementaire. On commence ainsi à parler par exemple d'une Europe des industries de défense, et l'on connaît déjà le consortium Airbus (EADS) qui, s'il ne relève pas des F&A, a déjà entraîné de nombreux rapprochements.

4) Les surcapacités sectorielles

La logique est ici souvent défensive : les affaires vont mal, souvent a la suite d'investissements par trop massifs au cours de la période précédente, il s'agit donc de se regrouper pour faire face. Les secteurs de l'armement (cf. aux Etats-Unis dans les années 90, suite à la baisse des budgets militaires : fusion de Lockheed et de Martin Marietta en 1995, rachat de Grumman par Northrop en 1994) et du transport aérien (début des années 2000) sont à cet égard souvent cités.

5) Les politiques publiques

Alors que les politiques des "champions nationaux" (souvent décriées par les économistes qui y voient des opérations souvent plus politiques qu'industrielles) visent au renforcement du pouvoir de marché, les politiques de la concurrence vont dans un sens contraire. Il y a ainsi une très nette tension, en Europe, entre certains gouvernements qui au nom de l'emploi et de l'intérêt national jouent aux meccanos industriels et la Commission de Bruxelles qui exige souvent les groupes concernés a se défaire de certaines branches.

6) Le cycle réglementation/déréglementation des activités

Une réforme de la réglementation peut suffire à provoquer une vague de fusions dans un secteur ; on se souvient que la myriade de compagnies de transport aérien et de télécoms nées des déréglementations des années 80 aux Etats-Unis a vu ses effectifs se réduire par la suite, en partie du fait d'un certain retour de la réglementation. Les concentrations bancaires américaines ont été bloquées des années 1930 aux années 1990 par des textes restrictifs nés a la suite de la crise de 1929 ; depuis quelques années, avec l'adoucissement ou l'élimination de ces contraintes, de nombreux établissements régionaux se font racheter.

7) Les privatisations

Elles rendent les entreprises OPA-bles, à moins que des stratégies du type participations croisées (on se souvient des "noyaux durs" suite aux privatisations Balladur) ne viennent opacifier le tableau. De plus en plus souvent, les privatisations et les ouvertures sectorielles à la concurrence sont justifiées pour des raisons de développement international (trouver des financements extérieurs, faire jouer la réciprocité avec nos partenaires commerciaux, faire émerger un "champion européen"…). Les cas d EDF et de GDF sont à cet égard un cas d'école.

8) Le facteur systémique

La défaillance d'une entreprise est souvent une occasion d'acquisition à bas prix : les actionnaires, les salariés et les managers de la firme menacée de faillite n'ont plus guère la possibilité d'être très regardant sur l'offre de l'acquéreur. Les malheurs du Crédit Lyonnais et d'Elf Aquitaine ont fait le bonheur du Crédit Agricole et de Total.

9) La conjoncture économique

Un facteur de court terme. Il est fréquent que les phases hautes du cycle économique et boursier coïncident avec un fort appétit pour les F&A, et inversement.

Les catalyseurs microéconomiques des F&A

1) Les économies de dimension

Elle regroupent :

- Les économies d'échelle

                  La recherche de la "taille critique" en fonction du cycle du produit ou de la firme permet de diluer les coûts fixes par l'effet de la taille. Le progrès technique a souvent pour conséquence d'accroître la taille optimale de sorte qu'il est normal de trouver, sous cet angle, un lien entre révolution technique et cycle de fusions et acquisitions.

- Les économies de réseaux

                  Il ne sert à rien de dupliquer les grands réseaux d'infrastructures de communication et de télécommunication. On parle souvent à ce propos de monopole naturel et l'on sait que la préoccupation principale des autorités de régulation est d'obtenir les effets de la concurrence (respect du consommateur) dans un monde d'oligopoles.

- Un meilleur accès aux financements (bancaire et obligataire)

                  La concentration donne plus de visibilité à la firme en permet une diminution de la prime de risque. Elle donne accès plus facilement aux innovations financières (billets de trésorerie, élargissement du marché des actions, LBO…), fiscales, salariales (stock-options) ou comptables.

2) Le renforcement du pouvoir de marché

L'objectif de certaines F&A est d'obtenir un pouvoir de négociation accru sur les fournisseurs. D'autres opérations recherchent implicitement l'exclusion de concurrents (centrales d'achats pour la distribution, intégration verticale dans le cas d'AOL/Warner…), souvent via la création de barrières à l'entrée (discrimination par les prix, contrats d'exclusivité d'approvisionnement, création d'un standard…). On peut également classer dans cette catégorie la plupart des stratégies défensives (prévention d'OPA hostiles : cf. le récent rapprochement de Suez et de GDF).

3) Le recentrage sur les compétences centrales

Un mouvement typique de la bulle 1996-2000, fondée sur l'EVA (Economic Value Added). Par exemple, Total vent sa branche chimie.

Les bulles financières favorisent assez naturellement les F&A

C'est une évidence historique mais aussi économique, et cela pour plusieurs raisons :

- Surévaluation des firmes initiatrices (F&A par échange de papier) et surévaluation du potentiel de la firme cible (d'où des acquisitions à des prix exorbitants),

·- Facilité du levier d'endettement : la plupart des bulles d'actifs sont générées par des bulles de dettes (cf. l'étude de cas sur le Japon, disponible sur ce site)

- Mimétisme et puissance des conventions. Par exemple, le fameux "RoE à 15%" dans les années 90 a été une idée aussi simpliste qu'incontournable, selon laquelle les actionnaires étaient en droit d'attendre une rentabilité annuelle de 15% (voir fiche sur ce site).

Les périodes d'éclatement de bulle sont, au contraire, favorables à un ajustement baissier des F&A (amortissement du goodwill, désendettement…). On le voit bien à travers le graphique en annexe.

Les F&A créent-elles de la valeur pour l'actionnaire ?

A priori, oui. Elles ne sont théoriquement possibles que parce que l'entreprise cible est mal gérée. Son redressement est accompli par les nouvelles équipes dirigeantes. Dans les faits, au vu des travaux académiques et de l'expérience des cabinets de conseil, cela n'a rien d'évident. Il n'y a pas de règles générales.

S'agissant des effets à long terme sur les entreprises fusionnées, il y a une énigme : les études ne montrent pas clairement de lien entre les fusions et la profitabilité. C'est peut-être un problème de méthodologie qui pourrait tenir à nombre de facteurs et, en particulier, de la difficulté à isoler les coûts et les avantages des F&A de l'environnement général des firmes, de l'évolution générale de la profitabilité, des effets sectoriels, de l'enchevêtrement des F&A durant les vagues de concentrations et des scissions ultérieures... En fait, on manque de recul sur les F&A des années 1990 ; les F&A des années 1980 semblent avoir mieux réussi que celles des années 1960 et 1990, mais les résultats sont fragiles. On sait seulement que les grosses F&A internationales débouchent généralement sur des performances plus médiocres que les autres. Un cas d'échec retentissant souvent cité est constitué par Daimler/Chrysler, parfois expliqué par des raisons "culturelles".

Les facteurs de réussite des F&A

Pour les actionnaires, les conditions de réussite d'une fusion acquisition passent sans doute par les points suivants :

1) Le prix de la transaction

     L'une des stratégies de la proie consiste à faire monter les enchères. La question essentielle pour l'acquéreur potentiel consiste à savoir se garder de payer trop cher. Cela est difficile lorsque le marché est fébrile, que d'importantes recompositions du capital le secouent et que les cibles n'étant pas légion, le fait d'échouer dans une transaction risque de compromettre la stratégie de long terme. C'est ainsi qu'on peut analyser certaines acquisitions de France Telecom, au sommet de la bulle des nouvelles technologies…

2) La qualité de l'intention stratégique

      Il s agit en particulier de savoir si les managers ont une vision industrielle et/financière en tête ou s'il s'agit d'opérations explicables par leur ego démesuré.

3) La bonne estimation des coûts post-intégration

      La gestion de la dimension culturelle et humaine est toujours délicate. Elle vise à concilier deux cultures d'entreprises et à faire qu'il n'y ait ni gagnant, ni perdant dans les équipes qu'il faut ressouder après la bataille. La manière dont Arcelor s'est défendu face à l'OPA de Mittal est sans doute créatrice d'un risque de démotivation des équipes, de crainte d'épuration selon les positions prises durant la bataille boursière, voire de soupçon généralisé sur les intentions réciproques…

4) La qualité de la communication financière

      Les actionnaires se mobilisent de plus en plus pour faire entendre leur voix sur les projets de fusion-concentration. Il convient donc de les convaincre du bien-fondé du projet, non avec des mots, mais avec un dossier précis mettant en lumière les avantages de l'opération.

Pour l'ensemble des parties prenantes, il existe des externalités positives (pressions sur les concurrents, prix plus bas, réduction des faillites...) et négatives (restriction éventuelle de concurrence, moins d'innovation, risque systémique éventuel…). Tout va dépendre de la création ou non de nouvelles formes organisationnelles efficientes au sein de la firme.

Ce qui est sûr, c'est que les F&A réglées en cash offrent généralement une rentabilité plus satisfaisante que les autres. Le marché tend à considérer un financement par actions comme le signal d'une surévaluation des actions par le management. De plus, l'utilisation du cash peut être considéré comme un "signal" qui indique que les managers sont en mesure d'exploiter les opportunités représentées par la firme cible. Enfin, en cash, pas de risque de dilution (par rapport à un règlement en papier avec augmentation de capital).t

Au total, l'effet est à long terme probablement positif d'un point de vue macroéconomique. On peut pointer l'exemple des Etats-Unis et du Royaume-Uni, caractérisés par de fortes vagues de F&A, par opposition à un capitalisme plus fragmenté et plus "consensuel" qui montre toutes ses limites depuis quinze ans (Allemagne, Japon, France…). Encore faut-il que le marché du travail soit suffisamment souple pour permettre un processus caractérisé par des licenciements massifs et des embauches massives.

La protection contre les OPA

Les mécanismes de protection sont légion et ils peuvent faire avorter une OPA hostile ou du moins retarder l'opération et/ou la rendre beaucoup plus coûteuse pour la firme acquéreuse. Ils sont activés tantôt par les entreprises (avec l'aide des législateurs nationaux), tantôt par les autorités publiques (souvent à la demande des proies potentielles) :

1) Le conseil d'administration ou l'assemblée générale peuvent employer des "pilules empoisonnées" pour contrer une OPA

a) Plafonnement des droits de vote pour tous les actionnaires (Nestlé, Danone, Total…)

b) Droits de vote double, pour donner plus de poids aux actionnaires les plus anciens ; plus de la moitié des 120 premières entreprises françaises appliquent ce dispositif

c) Actions à prix préférentiels : la cible peut émettre des actions supplémentaires à un prix inférieur à celui du marché. C'est sur ce principe que fonctionne le système français des bons de souscription d'actions (BSA) institue par Thierry Breton,

d) Augmentation de capital réservée : la proie émet de nouvelles actions et les destine à un investisseur qu'elle choisit, le "cavalier blanc". On se souvient de l'appel de Guccy à PPR lors des assauts de LVMH en 1999 (par la suite, PPR a connu de grandes difficultés à rentabiliser cette opération),

e) Actions nominatives : ces actions doivent recevoir l'aval du Conseil d'administration avant de pouvoir être cédées. Il s'agit d'un très dispositif répandu, en Allemagne notamment (Allianz, Lufthansa…).

2) Les Etats ont construit des remparts contre les OPA pour protéger certains fleurons industriels ou certains secteurs jugés (à tort ou à raison) stratégiques :

a) Le cadre législatif et réglementaire

Le cadre législatif est massivement dissuasif en Chine (contrôle des changes, obligation de s'adosser à un partenaire local au-delà de 25% du capital, agrément des autorités au-delà de 50%, irrévocabilité des membres du CA…) et dans de nombreux pays émergents, plus subtilement dissuasif dans les droits des affaires des pays de l'OCDE (voir la gamme des pilules empoisonnées citée plus haut, voir les dispositifs fiscaux favorisant l'actionnariat salarié, encouragement donné aux participations croisées…).

La loi autorise souvent à se placer sous le contrôle d'une fondation dont le statut juridique permet de se prémunir contre une OPA (cela concerne Bertelsmann en Allemagne, 9% de la capitalisation boursière en Suède, etc.). Et, lorsque cela ne suffit pas, les gouvernements peuvent opter pour le changement de lois dans l'urgence (cf. Suez-GDF en France ou E.ON/ Endesa en Espagne…)

b) Les pressions politiques

il suffit le plus souvent au Congrès des Etats-Unis de s'agiter un peu pour contrer à coup sûr (et avant même de passer à l'élaboration d'un texte législatif et a fortiori au vote) des opérations dans des secteurs jugés sensibles (surtout lorsque la firme acheteuse vient d'un pays jugé peu amical) : le chinois CNOOC a ainsi dû renoncer à racheter Unocal, et en 2006 une firme des Emirats arabes unis, DP World, n'a pas pu acquérir plusieurs ports américains lors de son offre sur P&O. Des pans entiers de l'économie peuvent être qualifiés de sensibles par les autorités : en France, les jeux d'argent sont un secteur protégé, ce qui permet à Danone (propriétaire du casino d'Evian) d'être quasi-inattaquable. L'Allemagne et la plupart des autres pays protégent le secteur de la défense, la Russie protége Gazprom etc. L'Italie est allé très loin dans cette direction protectionniste depuis quelques années : le gouverneur de sa banque centrale a bloqué deux OPA en provenance de l'étranger sur des banques de la péninsule au non de l' "italianité" (un concept jusque-là inconnu des économistes) et le gouvernement a pendant quatre ans empêché EDF d'affirmer ses droits sur Edison (plafonnement à 2% des droits de vote alors que le groupe français détient 18% de la holding qui contrôle Edison à 62%). Il est vrai que le marché de l'énergie français n'est pas non plus un modèle d'ouverture. Même le Royaume-Uni, pays d'ordinaire très libéral sur cette question, a mis en garde Gazprom pour l'empêcher de mettre la main sur le distributeur anglais de gaz Centrica.

c) La propriété publique

Certains Etats européens détiennent encore des actions préférentielles (golden shares) dans d'anciens monopoles (secteurs des transports, de la banque…), mais cette source de protection anti-OPA est dans le collimateur des autorités de la concurrence à Bruxelles. Par contre, les Etats peuvent toujours bricoler dans l'urgence des fusions entre firmes nationales pour contrer des OPA venues de l'étranger

Faire immatriculer sa société dans l'Etat du Delaware est un bon moyen, aux Etats-Unis, d'échapper aux OPA hostiles. Plus généralement, il est fréquent pour les managers de se livrer à une optimisation juridique qui n'est pas sans rappeler l'optimisation fiscale des actionnaires.

d) Le veto présidentiel

Aux Etats-Unis, le Président peut, depuis l'amendement Exxon-Florio de 1989, bloquer une OPA si elle menace la sécurité nationale : utilisé une seule fois depuis sa création (par George Bush père pour contrer les intentions d'un groupe chinois sur Mamco, un sous-traitant américain de l industrie aéronautique). C'est un peu l'ultima ratio.

Conclusion

1) Les fusions et acquisitions ne se déroulent pas selon le schéma marxiste. Celui-ci prévoit…

      a) Que le besoin d'accumuler des capitalistes s'exprime au moment des crises économiques, les forts s'emparant alors des concurrents affaiblis et grossissent à leur dépends. Or, c'est le contraire que l'on observe : les deux partenaires de l'opération sont souvent prospères, c'est leur complémentarité, réelle ou imaginaire, qui les poussent à s'unir, et les phases de récession sont des phases de repli de l'activité de F&A (on l'a encore constaté lors du dernier cycle)…

      b) Que l'espace concurrentiel ne cesse de se réduire : or les études (De Grauwe et Camerman 2002, Foster et Kaplan 2001…) montrent qu'à long terme il n'existe aucune tendance à la concentration des firmes et à la domination du monde par quelques grands monopoles.

2) Quand sort-on de la fusion ?

      Des années après l'opération, les Chrysler et les Daimler restent entre eux, les BP et les Amoco s'accordent mal... car une firme n'est pas composé seulement de machines (le capital) et de travailleurs : elle est traversée par des rapports sociaux. C'est là où Marx prend (parfois) sa revanche…

3) Existe-t-il une "taille critique" ?

      Dans de nombreux secteurs, très certainement, mais la réussite insolente de groupes "moyens" comme PSA et BMW, considérés il y a quelques années comme perdus en raison de leur refus de fusionner avec d'autres acteurs, a aboutit à des jugements plus nuancés. Souvent, la taille critique est invoquée par les dirigeants dont les intentions stratégiques sont floues.

4) A un horizon de plus long terme, il est possible que les F&A exercent une influence néfaste sur l'économie via le canal de la confiance.

      Summers et Shleifer (1988) considèrent que le raider qui attaque une firme pour créer de la valeur ne fait que répudier unilatéralement les "contrats implicites", ces éléments clés d'une économie de partenariat, nouées antérieurement (entre les vieux salariés et les jeunes, entre la maison mère et les sous-traitants…). Il met ainsi en danger des nœuds de contrats complexes, construits dans le temps, parfois non écrits, intangibles mais réels. Il sous-estime le rôle des rapports sociaux. Au total, sa stratégie est risquée sur le plan micro et potentiellement dévastatrice sur le plan macroéconomique. Cette thèse n'a pas, dans sa composante macro, été vérifiée (ce sont plutôt les pays respectueux des conventions anciennes qui connaissent un manque de croissance comme on l'a vu précédemment) ; elle correspond bien à une époque de doutes après l'affaire NJR Nabisco ("Barbarians at the gate"), l'affaire Milken et le krach de 1987 ; mais il est toutefois permis de s'interroger.

 

ANNEXE : données chiffrées

Montant des fusions acquisitions, en milliards de USD

Source : Exane (2005)

Lecture : Après deux sévères années de "purge" des F&A, en 2001-2002, le montant des fusions-acquisitions recommence à croître. On est pourtant encore loin des niveaux records de 2000. Il s'agit de la poursuite d'une logique structurelle (innovation, surcapacités, mondialisation) interrompue par l'éclatement de la bulle boursière en 2000-2002.

Poids de la capitalisation boursière et de l'activité fusions/acquisitions dans le PIB américain

Source : Exane (2005), à partir des données de la Réserve fédérale, de Datastream et de Mergerstat

Lectures : La mémoire des investisseurs reste marquée par la destruction du capital par les F&A au cours de la période 1998-2001 ; les actionnaires des "prédateurs" américains ont perdu énormément d'argent au cours de la dernière vague de F&A. Ces pertes sont concentrées sur un nombre limité d'opérations initiées par des entreprises à valorisation élevée. Beaucoup de fusions-absorptions qui ont enregistré les plus grandes pertes ont été payées par les titres de la firme afin d'échanger une action surévaluée contre des actifs réels.

A lire

  • Le document le plus utile est : Exane (2005), "Vers une nouvelle vague de fusions-acquisitions ?". On trouvera trois pages d'une grande actualité et titrées "Remparts d Etat contre les OPA" dans L'Expansion d'avril 2006 (numéro 707, pages 74-76) par Quentin Domart et Geraldine Meignan. Les autres documents ont un caractère plus technique, ou plus sectoriel, ou plus historique :
  • Aftalion Florin (2005), "Marx, Schumpeter, l'innovation et les monopoles", mimeo
  • Boston Consulting Group (2004), "The Age of the Banking Titans"
  • BRI (2001), "Incidence des fusions-acquisitions transatlantiques sur le cours dollar/euro", rapport trimestriel, décembre
  • Commissariat général au Plan (2003), "Mondialisation et recomposition du capital des entreprises européennes"
  • De Grauwe Paul et Camerman Filip (2002), “How Big are the Big Multinational Companies?”, mime disponible sur http://www.econ.kuleuven.be
  • Foster R. et S. Kaplan (2001), Creative Destruction : Why Companies That Are Built to Last Underperform the Market - And How to Successfully Transform Them, New York, Doubleday.
  • Hartmann Laurent (2003), "Fusions-acquisitions : les défis de l'intégration", Paris, Institut de l'entreprise
  • Quiry P. et Le Fur Y. (2002), "Quelques réflexions sur les taux de rentabilité exigés", La Lettre Vernimmen.net, n°8, février / mars, le complément de l'ouvrage et du site http://www.vernimmen.net/
  • Moeller, Schlingemann et Stulz (2004), "Wealth destruction on a massive scale? A study of aquiring-firm returns in the recent merger wave”, NBER Working Paper, n°10200
  • Sachwald Frédérique (2001), “Les fusions-acquisitions, instruments de la destruction créatrice", IFRI, rapport RAMSES
  • Shleifer A. et Vishny R.W. (2003), Stock Market Driven Acquisitions", Journal of Financial Economics
  • Shleifer A. et Summers L. (1988), “Corporate Takeovers as Beach of Trust” in Corporate Takeovers, causes and Consequences, édité par Auerbach A., NBER, University of Chicago Press.
  • Cassis Yousef (1997), Big Business, The European Experience in the Twentieth Century, Oxford University Press.

Partage

Y