Les transformations des structures économiques, sociales et démographiques depuis le XIXème siècle

Eléments de cours

Introduction: la rupture historique du 19ème siècle

Le travail de l’historien consiste selon Jean Bouvier à identifier «les continuités et les ruptures » historiques. Incontestablement, le 19ème siècle est une rupture majeure de l’histoire de l’Europe mais aussi de l’ensemble du monde. Pour Paul Bairoch (1997) c’est un siècle charnière dans l’histoire économique et sociale puisqu’il marque la transition entre le monde traditionnel qu’est encore le 18ème siècle et le monde moderne développé que sera le 20ème siècle. Les changements sont si importants que l’onde de choc aura un impact sur l’ensemble du monde: l’histoire du monde développé au 19ème siècle est assez largement l’histoire du monde (P. Bairoch, 1997).

Cette rupture résulte de l’augmentation sensible et continue de la production par habitant en Grande Bretagne puis dans d’autres pays qui rompt avec la lenteur des changements des siècles précédents. Les économies préindustrielles se caractérisaient en effet par la coexistence de rigidités et d’inerties. L’économie demeurait élémentaire, avec « une énorme part de la production se perdant dans l’autoconsommation de la famille ou du village n’entrant pas dans le circuit du marché » (F. Braudel, 1985). « La croissance économique irréversible et cumulative, dont la révolution agricole, puis la révolution industrielle du XVIIIème siècle en Grande-Bretagne marquent le point de départ, constitue bien en tout cas l’originalité essentielle des deux derniers siècles » (Jean-Charles Asselain, 1985). Cette « croissance économique moderne » se caractérise, selon l’économiste Simon Kuznets, par son caractère global et cumulatif.

Cette histoire économique du 19ème siècle est également celle des différences internationales de croissance. La domination de l’économie britannique est nette pendant un siècle (1770-1870). La révolution industrielle qui a débuté fin 18ème en Grande Bretagne s’élargie à un nombre croissant de pays au cours du 19ème siècle. Selon Paul Bairoch (1997), quatre pays connaissent après les guerres napoléoniennes (1815) une intensification des activités industrielles: la France, la Belgique, la Suisse et les Etats-Unis. Au milieu du 19ème siècle, d’autres pays vont s’industrialiser, en particulier l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, l’Italie, l’Espagne et des pays de peuplement européen (Australie, Nouvelle-Zélande). Si bien que dans les années 1870, tous les pays qui vont constituer les pays développés jusque dans les années 1970 (Europe, Amérique du nord, Australie, N-Z) sont déjà fortement industrialisés ou en passe de l’être. Seuls le Japon et la Russie vont venir s’ajouter à cette liste au cours des dernières décennies du 19ème siècle. Il faudra attendre la fin du 20ème siècle pour que de nouveaux pays intègrent le cercle des pays industrialisés.

Dans ce chapitre, nous allons retracer les transformations des structures économiques, sociales et démographiques de ces deux derniers siècles qui découlent de la révolution industrielle commencée en Grande-Bretagne à la fin du 18ème siècle. En parlant de structure, nous voulons signifier par là un ensemble intégré d’éléments interdépendants qui forment un système. Nous nous intéresserons donc aux éléments caractéristiques et fondamentaux d’un système économique et social qui évolue peu dans le temps, aux fondamentaux qui sont relativement stables. Nous mettrons en exergue les changements qui nous paraissent essentiels: hausse de la population et de la production par habitant, passage d’une société traditionnelle à une société urbaine industrielle et post-industrielle dans les pays avancés, transformation des systèmes productifs et des modes de vie des pays en développement (PED)… Ce découpage est artificiel et il ne faut pas perdre de vue que ces évolutions sont interdépendantes les unes des autres.

1 - L’exceptionnelle poussée démographique

Jusqu’au 19ème siècle, la croissance démographique mondiale est très lente. Les estimations les plus optimistes sont inférieures à 0,1 % en moyenne par an. Alors que la population mondiale aurait été multipliée par 5 de l’an 0 à 1800 (d’environ 200 millions à 1 milliard), celle-ci est ensuite multipliée par 7.

La transition démographique des pays développés au 19ème siècle

Dans certains pays d’Europe, la baisse de la mortalité est amorcée dès le milieu du 18ème siècle, tandis que la baisse de la natalité ne commence qu’un siècle après. La France fait exception puisque le déclin de la natalité a lieu dès le début du 19ème siècle. La baisse de la mortalité a, selon l’historien Paul Bairoch (1997), au moins trois causes essentielles: l’augmentation des ressources alimentaires, les progrès de l’hygiène et de la médecine et le développement de l’éducation. Ce dernier facteur intervient surtout dans la seconde moitié du 19ème siècle et contribuera à faire baisser la mortalité infantile. Le taux de mortalité en Europe occidentale passe de 35 à 40 pour 1000 avant la révolution industrielle à moins de 16 pour 1000 à la veille de la 1ère guerre mondiale. L’une des causes de la baisse de la mortalité est la diminution du taux de mortalité infantile. Il va baisser d’1/3 notamment après la généralisation de la vaccination de la variole vers 1830. Encore élevé à la veille de la 1ère guerre mondiale aux alentours de 140 pour 1000, il n’est plus que de 5/1000 aujourd’hui en France par exemple. Cette diminution de la mortalité infantile explique pour une bonne part l’accroissement statistique de l’espérance de vie à la naissance. Ainsi en Europe occidentale l’espérance de vie à la naissance progresse en moyenne de 12 à 15 ans entre 1820 et 1913, passant pour les hommes de 37 à 51 ans avec des écarts importants entre pays.

La natalité ne diminue dans les pays développés qu’à partir des années 1870-1880 (sauf en France). Le taux de natalité passe de 32 pour 1000 vers 1770-1880 à moins de 25 pour 1000 vers 1914, soit un recul de 25 %. Le nombre de femmes en âge de procréer étant plus important du fait de l’augmentation de la population, cette baisse traduit une chute encore plus prononcée de l’indice de fécondité. Cette réduction de la natalité résulte de changements de comportements de fécondité avec le développement de pratiques de contraception comme le « coït interrompu ».

Au cours de cette transition démographique, la population des pays développés (hors Japon) est multipliée par trois, passant de 212 millions en 1800 à 606 millions en 1914. Ces pays (Japon compris) vont alors représenter plus de 36% de la population mondiale au début des années 1930 contre seulement 22% au début du 19ème siècle. A la veille de la 1ère guerre mondiale, la transition démographique est achevée ou en voie de l’être dans tous les pays développés. Après 1945, les taux de fécondité augmentent en Europe et au Japon, mais à des niveaux toujours inférieurs aux taux américains, de sorte que, pour Paul Bairoch, on ne peut parler de baby boom que dans le cas des Etats-Unis. Les rythmes différents d’accroissement démographique sont impressionnants. En 1780, il y avait aux Etats-Unis moins de 3 millions d’habitants contre plus de 310 millions aujourd’hui, soit une multiplication par plus de 100 en 2 siècles. Il ne faut toutefois pas négliger la croissance de la population de certains pays, notamment quand, à l’accroissement naturel, vient s’ajouter un solde migratoire positif. En France, par exemple, la population augmente de plus de 50 % dans la seconde moitié du 20ème siècle et elle repassera devant celle de l’Italie et du Royaume-Uni.

L’inflation démographique des PED au 20ème siècle et transition démographique

Dans le reste du monde, on assiste également à un accroissement de la population plus rapide dès le 18ème siècle, mais c’est surtout au 20ème siècle que la population des PED va augmenter, à un rythme de croissance bien supérieur à celui des pays développés au 19ème siècle. Grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine qui sont introduits très tôt dans les PED, la réduction de la mortalité infantile est plus rapide qu’au siècle précédent dans les pays avancés. Dès 1920, la population des PED progresse alors à un taux d’environ 1,2 % par an, puis de 1,5 % par an entre 1930 et 1950 et même plus de 2,5% au début des années 1970, soit à un rythme de progression trois fois plus élevé qu’en Europe au 19ème siècle. A ce taux de croissance, une population double en moins de 30 ans, alors qu’au plus fort de leur croissance démographique au 19ème siècle, la population des pays avancés n’avait mis que 90 ans à doubler.

Depuis les années 1970, le ralentissement de la croissance démographique se fait sentir. La population mondiale qui progressait de 2 % par an entre 1950 et 1970 n’augmente plus que de 1,3 % aujourd’hui. L’indice de fécondité qui était de 6,1 au début des années 1950 dans les PED (hors Chine) a presqu’été divisé par 2. Il est encore de 4,7 en Afrique, mais il est compris entre 2 et 3 en Asie et en Amérique latine. A cause de la structure actuelle de la pyramide des âges, le taux de natalité baisse cependant plus lentement.

Les migrations internationales

Les migrations internationales au 19ème siècle sont principalement européennes. Par rapport aux siècles précédents, ces migrations se caractérisent par l’ampleur du phénomène, la destination des migrants et leur caractère volontaire même si elles se font souvent pour des raisons économiques. Les principaux flux de migrations ont lieu au tournant du 20ème siècle. La destination principale est le Nouveau Monde (41 millions de migrants entre 1851 et 1915) avec en tête les Etats-Unis (70% des migrants européens), puis l’Argentine, l’Australie, le Canada et le Brésil. Peu émigreront vers l’Asie et l’Afrique. Ces migrants sont surtout originaires du Royaume-Uni au milieu du 19ème siècle, puis d’Italie et d’Allemagne. Avant la 1ère guerre mondiale, l’Italie, l’Autriche-Hongrie, l’Espagne et la Russie (Pologne comprise) sont les principaux pays d’émigration. En raison de sa faible natalité, la France est le seul pays d’Europe qui ne connaît pas de vagues d’émigration et devient dès le début du 19ème siècle un pays d’accueil.

La seconde vague d’émigration européenne a lieu après 1918 et elle se poursuivra après 1945. Cette émigration est en grande partie intra-européenne. Le mouvement va alors des pays d’Europe du sud et de l’est vers l’Europe du nord-ouest. A partir du début des années 1970, le solde migratoire de l’Europe devient positif. L’Espagne, l’Italie et le Portugal qui ont longtemps eu un solde négatif deviennent des pays d’immigration dès les années 1970.

Lors de la colonisation et de l’augmentation rapide de la population européenne au 19ème siècle, peu d’européens se dirigeront vers les pays en développement à climat tropical ou semi-tropical (seule exception: le Brésil). Au moment où la présence des européens dans les colonies est à son maximum vers 1939, ceux-ci ne sont que 3 à 3,3 millions dont plus de la moitié en Afrique du nord. Avant 1945, les flux en sens inverse, des PED vers les pays développés, sont très faibles et concerne un à deux millions de personnes tout au plus entre le début du 19ème siècle et la 2nde guerre mondiale. Les chinois qui émigrent vers les Etats-Unis représentent la majorité de ces migrants. Après la guerre et, surtout, à partir du début des années 1970, de nombreux réfugiés économiques mais aussi politiques afflueront vers les pays développés. Entre 1950 et 1989, le nombre de migrants dépassera les 35 millions.

2 - La hausse du niveau de vie

Dans les pays aujourd’hui dits développés, le revenu national par habitant a été multiplié par 20 depuis 1700 (T. Piketty, 2013). Comme, au même moment, la durée annuelle de travail a été divisée par 2 en moyenne, cela signifie que la productivité horaire du travail a été multipliée par 40 environ en trois siècles, principalement depuis 1800. La plus forte progression du pouvoir d’achat a eu lieu après 1945. En Europe occidentale le PIB par habitant a progressé de 1,1 % en moyenne par an au 19ème siècle et de 1,9 % au 20ème siècle. Cette hausse durable de la production par habitant a permis une multiplication par 2 du pouvoir d’achat entre 1820 et 1913, puis par 6 de 1913 à 2012.

L’augmentation du niveau de vie n’est pas que quantitative: les biens et services consommés aujourd’hui sont très différents de ceux consommés il y a plus de 2 siècles et la structure de la consommation a changé. L’autoconsommation qui représentait la majeure partie des biens et services consommés jusqu’au milieu du 19me siècle a fortement diminué. En outre, conformément à la loi d’Engel, la consommation alimentaire qui accaparait la quasi-totalité du budget des ménages avant la révolution industrielle ne représente plus dans les pays développés que 12 à 20 % des dépenses de consommation.

Les écarts de niveaux de vie entre pays développés

Au cours de la 1ère moitié du 19ème siècle, la domination britannique est patente. A son apogée, vers 1850-1860, la Grande-Bretagne qui ne pèse que 2,4 % de la population mondiale représente près d’un quart de la production manufacturière dans le monde. A la fin de ce siècle, la forte croissance du produit par habitant de l’Allemagne et surtout des Etats-Unis modifie la donne. Lorsque la 1ère guerre mondiale éclate, la production industrielle – mais non la production par habitant – de l’Allemagne dépasse celle du Royaume-Uni. La production des Etats-Unis surpasse dès les années 1860 celle de la Grande Bretagne ; de même pour la production par habitant vers le milieu des années 1870. Du dernier tiers du 19ème siècle à la fin de la guerre 1939-45, l’écart de niveau de vie entre l’Europe et les Etats-Unis va s’accroître considérablement. En 1950, le PNB/hab des Etats-Unis est plus de 2,6 fois supérieur à la moyenne des pays d’Europe occidentale.

Entre 1950 et 1970, le rattrapage va s’opérer au galop: la croissance du PIB/hab en Europe occidentale continentale est plus forte qu’aux Etats-Unis avec une croissance supérieure à 4 % (un peu plus faible au Royaume-Uni). Au début des années 1990, le revenu par habitant des européens de l’ouest et des japonais n’est plus, en moyenne, que de 40% inférieur à celui des américains. Ce processus de convergence des niveaux de vie concerne aussi les pays ouest-européens entre eux et, depuis quinze ans, ce phénomène englobe les pays d’Europe centrale, notamment ceux qui ont intégré l’UE. Depuis le milieu des années 1990, la croissance aux Etats-Unis est de nouveau plus élevée en moyenne qu’en Europe de l’ouest. Aussi en 2013, le PIB/hab à parité pouvoir d’achat (PPA) des Etats-Unis est-il, selon la Banque Mondiale, de 51 451 $, quand il n’est « que » de 41 045 $ (20% de moins) en Allemagne et d’environ 36 000 $ (30% de moins) en moyenne dans la zone euro, soit le niveau de la France, du Royaume-Uni et du Japon.

Une divergence croissante des niveaux de vie dans le monde jusque dans les années 1990

Avec l’augmentation rapide de la productivité dans les pays avancés pendant près de deux siècles, l’écart entre ces régions et le reste du monde ne va cesser de croître. L’Europe et le continent américain (principalement l’Amérique du Nord) concentrent 70 à 80 % de la production mondiale de 1900 à 1980 alors qu’ils ne pèsent que 20 à 30 % de la population mondiale. La production par habitant y est donc 2 à 3 fois plus élevée que la moyenne mondiale. En 1900, le PNB/hab des pays industrialisés est 3 fois supérieur à celui des PED et l’écart continue de s’amplifier. En 1990, le rapport est de 8, il est de 5 avec l’Amérique Latine, de 6,5 avec la Chine et de 15 avec l’Afrique.

Une convergence récente mais rapide des niveaux de vie depuis les années 1990

L’industrialisation des pays d’Asie du Sud-Est (les 4 Dragons dès les années 1960, puis les Tigres et la Chine à partir des années 1980) et d’autres pays du monde (Turquie, Mexique…) marque l’émergence de nouveaux pays industrialisés (NPI). Des gains de productivité élevés sont à l’origine d’une croissance du PIB/hab supérieure à celle des pays développés dès les années 1970. Aujourd’hui ce phénomène de rattrapage concerne la majorité des PED. Cela n’est toutefois vrai pour l’Afrique que depuis une dizaine d’années, en raison notamment de l’important accroissement démographique. En 2013, la croissance du PIB/hab a été de 4,2 % en 2013 en Afrique Subsaharienne.

Grâce à la forte croissance de ces dernières décennies, la pauvreté absolue recule dans les PED. La proportion de la population vivant avec moins de 1,25 $ par jour a baissé entre 1990 et 2010 dans toutes les régions du monde. Elle est passée selon la Banque Mondiale de 57,1% à 47,9% en Afrique Subsaharienne, de 54,4% à 31,5% en Asie du Sud (en Inde notamment), de 51% à 11,4% en Asie du Sud-Est (en Chine en particulier) et de 12% à 5,4% en Amérique Latine. Cette augmentation de la richesse produite a permis d’enclencher un véritable processus de développement dans certaines régions du monde, notamment en Asie. L’Indice de Développement Humain (IDH) des PED a ainsi fortement progressé. Entre 1990 et 2013, il est passé en Chine de 0,502 à 0,719.

3 - L’augmentation de la productivité agricole

La 1ère révolution agricole en Grande-Bretagne

La hausse de la productivité dans le secteur agricole a été un préalable essentiel au déclenchement de la révolution industrielle en Grande-Bretagne. L’expression de révolution agricole ne fait pas l’unanimité car les transformations dans l’agriculture ont été progressives à partir du milieu du 17ème siècle. L’accumulation progressive des gains de productivité permet à la production agricole par habitant britannique d’être 1,5 à 2 fois plus élevée à la fin du 18ème siècle qu’au siècle précédent (JC Asselain). A l’origine de cette amélioration, il y a d’une part un changement dans les méthodes de travail (rotation des cultures, recul de la jachère, développement de l’élevage grâce aux prairies artificielles, développement de la fumure, sélection des semences et des races animales…) et d’autre part l’introduction de cultures nouvelles. Le mouvement des enclosures permet en outre la formation de grandes exploitations confiées à des fermiers au comportement proche de celui d’un entrepreneur capitaliste.

La population n’aurait pas pu augmenter durablement sans cette hausse de la production agricole, mais la hausse de la productivité agricole a aussi eu un double effet d’entraînement sur les activités industrielles: elle a permis une augmentation des revenus réels des agriculteurs (hausse des ventes) et des citadins (grâce à la baisse des prix des denrées alimentaires) et elle a libéré de la main d’œuvre pour les activités non-agricoles. Ainsi, d’un côté la demande de bien manufacturiers augmentaient (achat de textiles surtout mais aussi de métal pour le développement du parc de charrues et d’outillages agricoles) et, de l’autre, la production de ces biens pouvaient croître et répondre à cette hausse de la demande grâce à une main d’œuvre disponible croissante (exode rural et hausse de la population).

La 2nde révolution agricole

L’augmentation des gains de productivité dans l’agriculture dès les années 1850-1860 aux Etats-Unis puis en Europe à la fin du siècle est liée à l’apparition de machines agricoles et à l’utilisation d’engrais chimiques. Le développement des engins agricoles aux Etats-Unis est précoce car les surfaces cultivables sont vastes et les salaires agricoles élevés. En Europe, l’augmentation des rendements agricoles est surtout due à l’utilisation croissante à partir des années 1830 d’engrais chimiques: engrais azotés, phosphatés et potassiques. L’industrie chimique allemande joue alors un rôle important. Finalement, aux Etats-Unis, la hausse de la production agricole résulte de gains de productivité du travail, tandis qu’en Europe, celle-ci est le fruit d’une amélioration des rendements agricoles à l’hectare.

La 3ème révolution agricole

Cette 3ème révolution agricole à partir des années 1940 aux Etats-Unis et des années 1950 en Europe a la même caractéristique que les précédentes, à savoir une hausse de la productivité et des rendements. Mais, tandis que le taux de croissance annuel moyen de la productivité avait été de 0,7 % en Europe au 19ème siècle et de 1 % aux Etats-Unis, les gains de productivité vont être plus soutenus. Entre 1950 et 1980, la productivité progresse en moyenne de 5,6 % par an. La production par travailleur est multipliée par 5 en 40 ans et, pour la première fois, la productivité agricole croît à un rythme plus élevé que dans l’industrie. Les causes sont les mêmes que lors de la 2nde révolution agricole (utilisation de pesticides, d’engrais chimiques, de machines agricoles et une concentration des exploitations). C’est la généralisation du phénomène et la recherche continue de performance qui expliquent cette forte croissance.

Une hausse de la production agricole importante mais insuffisante dans les PED 

Principalement à cause de la colonisation, l’agriculture des PED est duale. Il y a d’un côté les cultures d’exportations où les rendements sont élevés et les technologies employées comparables à l’agriculture des pays du nord et, d’un autre côté, les cultures vivrières qui sont dans certains pays encore exploitées à l’aide de techniques traditionnelles.

Les cultures d’exportations qui n’occupent que 4 % des terres agricoles sont essentiellement les produits suivants: sucre, oléagineux des régions tropicales, café, thé, cacao, fruits « tropicaux », épices, coton, huile de palme... Les variations importantes des prix de ces produits posent de nombreux problèmes aux pays exportateurs. En 1950, l’économiste Raul Prebisch estimait que les PED exportateurs de produits agricoles (principalement de « produits tropicaux ») étaient confrontés à une détérioration des termes de l’échange. Bien que constatée dans les années 1950 et les années 1980, on ne peut toutefois parler de tendance historique. Mais cette thèse reste pertinente car la demande de produits agricoles tend à croître moins vite que celle des produits manufacturés (loi d’Engel).

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le solde de la balance commerciale des produits de l’agriculture vivrière des PED est excédentaire. Dans les décennies qui vont suivre, la hausse soutenue de la production alimentaire est juste suffisante pour compenser la forte augmentation de la population. Ainsi la production par habitant est au début des années 1990 du même ordre que dans les années 1930, mais elle est inférieure dans les pays où la population a cru le plus rapidement. En Afrique par exemple où l’inflation démographique a été la plus forte, la production alimentaire par habitant recule à partir des années 1970. Cela conduit à une rupture historique majeure pour les PED par rapport aux deux siècles précédents: le solde commercial alimentaire excédentaire devient déficitaire à partir des années 1950, en particulier en Afrique. Elle est la première cause de l’augmentation de l’endettement international des PED. Deux autres facteurs contribuent aussi à ce déficit commercial: l’adoption de certains comportements alimentaires des pays développés et la baisse des prix des produits agricoles des pays du nord grâce aux gains de productivité et aux subventions favorisent les importations au détriment de la production intérieure.

4 - L’évolution de la structure des activités

En reprenant le découpage des activités économiques en trois secteurs de Colin Clark (1940), il est possible de retracer la mutation des systèmes productifs à travers l’évolution des emplois. Selon Jean Fourastié (1949), ces secteurs se caractérisent par des gains de productivité aux rythmes différents: rapide pour le secondaire, modéré pour le primaire et quasi-nul pour le tertiaire. Le déclin continu du secteur primaire s’accompagne d’une progression importante des secteurs secondaire et tertiaire. Mais tandis que le secteur secondaire atteint son apogée vers 1965-1970 (38 % des actifs dans les pays développés hors Japon en 1970), le secteur tertiaire continue de gonfler et dépasse même le poids du secondaire dès le milieu du 20ème siècle. La différence avec l’ère préindustrielle est flagrante. Dans les sociétés traditionnelles, l’agriculture représente plus de 75 % des actifs, tandis que les deux autres secteurs comptent chacun pour 8 à 12 %. Ce passage des emplois du secteur primaire vers les secteurs secondaire et tertiaire, puis, à partir des années 1970, vers le seul secteur tertiaire (secteur vaste et hétérogène) est bien décrit par Alfred Sauvy dans « La machine et le chômage » en 1980, montrant ainsi que les gains de productivité dans un secteur détruisent des emplois mais favorisent à long terme la création d’emplois dans d’autres secteurs. C’est la fameuse théorie du déversement d’A. Sauvy.

L’augmentation de la productivité et des rendements agricoles des pays avancés au 19ème siècle entraîne un bouleversement profond des sociétés de ces pays. Entre 1870 et 1914, ces pays passent d’un monde traditionnel rural à un monde où l’agriculture devient progressivement minoritaire. En 1870, 60% des actifs travaillent dans le secteur primaire, contre 40 % à la veille de la 1ère guerre mondiale (1/3 aux Etats-Unis et en Allemagne, 14% en Grande-Bretagne). En valeur absolue, c’est seulement à partir des années 1930 que le nombre d’agriculteurs (plus de 40 millions à cette époque) commence à décliner dans les pays développés. Ces pays assistent alors, notamment dans les années 1950-60, à la « fin des paysans » selon l’expression du sociologue Henri Mendras. Avec le déclin du secteur primaire, c’est à la fin d’un monde auquel on assiste: la disparition d’une culture rurale traditionnelle. En France par exemple, l’agriculture représentait 29 % des emplois après la guerre contre 3 % aujourd’hui.

Au sein du secteur secondaire, la part de l’industrie phare de la 1ère révolution industrielle – le textile –va décliner au profit de nouvelles industries (chimie, fabrication métalliques et électriques) au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Ainsi le textile et l’habillement qui représentaient 55 à 60 % des actifs dans l’industrie manufacturière au début du 19ème siècle ne pèsent plus que pour 1/3 à la veille de la 1ère guerre mondiale. Dans le secteur tertiaire, c’est le recul relatif des domestiques après 1880-1890 et l’augmentation des activités de transport, de commerce, d’éducation, d’administration, de services financiers… qui constituent le bouleversement le plus important. Après la première et surtout la seconde guerre mondiale, l’emploi dans les industries de biens de consommation durables va croître fortement et s’accompagner d’une hausse de l’emploi dans le secteur tertiaire marchand et non marchand.

Le déclin des emplois industriels dans les pays développés à partir des années 1970 est rapide et dès la fin des années 1980 le poids relatif de l’industrie dans les emplois se situe près du niveau que ces pays connaissaient avant la première guerre mondiale. En France, l’industrie (hors construction) ne représente plus aujourd’hui que 13,5% des emplois (plus de 76 % pour le tertiaire, 3 % pour le secteur primaire). En termes de valeurs ajoutées les changements sont identiques: depuis 1949, la part de l’agriculture est passée de 21 % à 2 % et celle de l’industrie de 27 % à 14 % (construction comprise).

L’évolution dans les PED 

En 1950, près de 80 % des actifs travaillent encore dans le secteur primaire dans les PED contre 35 % dans les pays développés. Aujourd’hui, l’agriculture concerne un peu moins de la moitié des actifs dans les PED (4 % dans les pays développés) avec une forte dispersion selon les pays. La part des emplois industriels est importante dans les pays d’Asie du Sud-Est comme la Chine, mais demeure marginale dans de nombreux PED. En revanche, le secteur tertiaire représente partout un poids relativement plus important que dans les pays avancés au début du 20ème siècle.

5 - La production manufacturière: de la révolution industrielle à la désindustrialisation des pays avancés et l’émergence des NPI

Sans l’augmentation de la production alimentaire et une main d’œuvre disponible pour l’industrie, la révolution industrielle n’aurait pas pu avoir lieu en Grande-Bretagne. Un autre facteur essentiel a joué: le progrès technique.

La 1ère révolution industrielle: domination de la Grande-Bretagne (1770-1870) et rôle des innovations

A partir des années 1770-1780, les inventions et les innovations techniques vont se succéder en Grande-Bretagne a un rythme inconnu jusqu’alors. Ces évolutions vont concerner un petit nombre de branches: le textile (ex: la Spinning Jenny de Hargreaves), la métallurgie (ex: la substitution du coke au charbon de bois pour la fabrication de la fonte) et le nouveau secteur des machines à vapeur (ex: la machine de Watt et ses nombreux perfectionnements). Cette succession ininterrompue d’inventions industrielles « ne saurait être tenue pour fortuite: inventions et innovations s’enchaînent et s’entraînent les unes les autres » (JC Asselain, 1985). La recherche de gains de productivité en amont comme en aval est un moteur puissant d’améliorations des techniques de production et de diffusion des innovations vers d’autres branches de l’économie.

La 2nde révolution industrielle (1870-1914): l’apparition de nouveaux secteurs industriels

Jusqu’aux années 1860-1870, la (première) révolution industrielle désigne surtout une augmentation de la production industrielle dans des secteurs manufacturiers traditionnels: textile et métallurgie. Bien sûr, le machinisme et l’utilisation croissante du coton ont transformé ces produits, mais peu de produits nouveaux ont été mis sur le marché. Une exception: la machine à vapeur a permis l’invention du chemin de fer qui se développe dès les années 1830. Avec la seconde révolution industrielle, on assiste à une modification qualitative de la production industrielle. De nouveaux produits industriels et donc de nouveaux secteurs font leur apparition. Dans la sidérurgie on passe de la fonte et du fer à l’acier, une industrie chimique moderne se développe avec la mise au point de colorants artificiels, de médicaments, de plastiques ou de fibres artificielles. Beaucoup de procédés de fabrication nouveaux vont être également mis au point dans les secteurs traditionnels. L’invention puis l’amélioration du moteur à explosion dans les années 1880, ainsi que l’élaboration par Thomas Edison de la 1ère ampoule incandescente en 1879 puis de la 1ère centrale électrique en 1882 vont transformer les techniques de production et donner naissance à de nouveaux produits de consommation (ex: le phonographe, autre invention de T. Edison).

La consommation de masse et l’apogée de l’ère industrielle des pays avancés

Au cours de la seconde révolution industrielle, c’est toutefois surtout à la mise sur le marché de nouveaux biens de production à laquelle on assiste. Les nouveaux biens de consommation élaborés avant la 1ère guerre mondiale ne se développeront qu’après la guerre, hormis aux Etats-Unis où ceux-ci connaissent un essor dès le début du 20ème siècle à l’image de la Ford T à partir de 1908. Les années 1920 et 1930 sont marquées par le développement d’une industrie de biens de consommation nouveaux (automobile, radio, appareils électroménagers…). Hormis quelques biens durables comme la radio, le taux d’équipement des ménages demeure faible hors des Etats-Unis. Après 1945, ces biens de consommation durables connaissent une forte croissance grâce à la généralisation de l’organisation du travail tayloro-fordiste. Les gains de productivité entraînent une baisse des prix et une hausse des salaires permettant une augmentation des taux d’équipement en produits électroménagers et en automobiles.

La désindustrialisation des pays avancés

Dès les années 1950 (et même avant en Grande-Bretagne), l’industrie textile perd des emplois. Le même phénomène touche la sidérurgie et l’électronique de la première génération au milieu des années 1960. Puis dans les décennies suivantes, ce sera le cas du secteur minier, des biens de consommations industriels à faible valeur ajoutée et, à la fin du 20ème siècle, de l’automobile, des produits électroménagers et même des machines-outils. Avec la fermeture des sites industriels dans les anciens pays industrialisés, on assiste à un redéploiement de la production industrielle au profit des nouveaux pays industrialisés. La part de l’emploi industriel a été divisée par 3 en moyenne dans les pays développés depuis les années 1970.

Il convient toutefois de relativiser cette désindustrialisation: tout d’abord elle ne s’est pas traduite par une baisse de la production industrielle en valeur absolue, exceptés dans certains pays depuis la crise de 2008, ensuite, certains emplois qui étaient autrefois comptabilisés dans le secteur secondaire sont désormais enregistrés dans le secteur tertiaire en raison de l’externalisation de nombreuses activités de services par les entreprises industrielles. Enfin, cette désindustrialisation est sans commune mesure avec celle qui affecta certains PED au 19ème siècle.

La 3ème révolution « industrielle »

La 3ème révolution industrielle désigne chez certains auteurs (ex : Jérémy Rifkin) la révolution technologique liée au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), révolution qui ne ferait que commencer. Ces innovations ont été à l’origine d’une forte croissance des économies des pays développés (surtout des Etats-Unis) au tournant du millénaire. Cette révolution concerne autant, si ce n’est davantage, le tertiaire que le secteur secondaire. Certains économistes comme Robert Gordon (2012) considèrent que ces innovations ont un potentiel de croissance inférieur aux précédentes grandes vagues d’innovations qui se sont succédé de la machine à vapeur à l’électricité. A l’inverse, J. Rifkin estime que nous ne sommes qu’au tout début d’un changement radical. Les effets de ces évolutions technologiques ne se feront véritablement ressentir que dans l’avenir avec le développement de la connectivité des appareils et la mise en réseau des biens et services.

Désindustrialisation au 19ème siècle et rattrapage industriel des PED depuis les années 1970

Au cours du 19ème siècle, les pays européens inondent les marchés des futurs pays en développement, qu’il s’agisse de leurs colonies ou de pays indépendants. Les producteurs locaux ne pouvant résister à cette concurrence, on va assister à une désindustrialisation des pays qui disposaient, comme la Chine et l’Inde notamment, d’une base industrielle. Ainsi en 1900, le niveau d’industrialisation par habitant des PED était d’un tiers inférieur au niveau de 1750 et cela malgré un début d’industrialisation dans certains pays d’Amérique Latine au cours du 19ème siècle.

Au début du 20ème siècle, seuls quatre pays disposent d’un tissu industriel relativement important: l’Inde, la Chine, le Brésil et le Mexique. Entre 1938 et 1975, la production industrielle en volume est multipliée par sept environ, mais seulement par trois ramenée au nombre d’habitants. Au milieu des années 1970, la production industrielle des PED représente alors 10 % de la production manufacturière mondiale, mais déjà près de 50 % de la production de fils de coton. Seuls six pays en développement (le Brésil, le Mexique et les 4 dragons) sont des pays que l’on peut qualifier de semi-industrialisés, ce qui signifie que dans les années 1970 les pays industrialisés sont les mêmes que ceux qui s’étaient industrialisés un siècle plus tôt avant 1870 (Etats-Unis et Europe de l’ouest) ou vers 1870 (Russie et Japon).

A partir des années 1970-80, d’autres pays vont connaître une forte croissance de leur production industrielle: Malaisie, Thaïlande, Indonésie, Philippines, Turquie... mais, surtout, la Chine depuis le lancement de ses réformes économiques d’ouverture aux investisseurs étrangers en 1979. Avec la montée en puissance de ces nouveaux pays industrialisés, la part des pays développés dans la production industrielle commence à décroître. Au début des années 2010, la part des pays développés n’est plus « que » de 50 % et la Chine est devenue la première puissance industrielle devant les Etats-Unis. La production industrielle européenne ne représente désormais qu’un quart de la production mondiale, comme la part de l’Amérique, ce qui correspond en proportion à la situation de 1860.

6 - Exode rural et urbanisation

La croissance démographique et l’augmentation de la productivité agricole sont à l’origine d’un phénomène majeur nouveau: les grands mouvements migratoires. Ces migrations sont d’abord internes. Avec l’exode rural le 19ème siècle devient le siècle de l’urbanisation du monde développé. Le taux d’urbanisation des pays européens passe de 12% à 38% de 1800 à 1900 et on dénombre déjà à la veille de la 1ère guerre mondiale 18 villes de plus d’1 million d’habitants. Le chemin de fer et le transport routier ont joué un rôle important en permettant d’approvisionner les mégalopoles.

Les villes grossissent et changent également de visage avec l’organisation de l’espace urbain autour des usines, les transformations des habitats, le développement des transports en commun (tramway électrique en 1881, 1er métro électrique à Londres en 1890)… La surmortalité urbaine en raison des conditions de logement et d’hygiène déplorables y est importante jusqu’aux années 1900-1930. L’entre-deux guerres marque le début de l’éclatement spatial des villes, en particulier aux Etats-Unis, avec le développement de l’automobile. Au-delà des banlieues, on assiste à partir des années 1970 à un phénomène de rurbanisation.

Avant la révolution industrielle, le taux d’urbanisation dans les pays en développement n’était pas différent de celui des pays européens autour de 9 à 12 %. En 1910, il n’avait guère progressé. Trois éléments vont caractériser l’urbanisation des PED après la 1ère et, surtout, la 2nde guerre mondiale, par rapport à celle des pays avancés: sa forte croissance, son absence de support économique et son hypertrophie du tertiaire.

Le taux de croissance de la population urbaine dans les PED au cours de la seconde moitié du 20ème siècle est deux fois plus élevé que dans les pays développés lorsque celle-ci fut particulièrement forte, entre 1860 et 1900. Désormais le taux d’urbanisation des PED se rapproche de celui des pays développés et y est même supérieur dans certains pays. Plus des 2/3 des 100 plus grandes villes du monde se situent aujourd’hui dans les PED. Avec ces changements, le taux d’urbanisation dans le monde est, depuis quelques années, supérieur à 50 % (53 % en 2013).

Tandis que dans les pays développés, l’exode rural s’est accompagné d’une hausse de la productivité agricole et des emplois industriels, ce n’est pas le cas dans la plupart des PED. Cette forte poussée des villes sans augmentation des emplois et sans que la construction ne suive ont conduit, à partir des années 1960, à la formation de bidonvilles en périphérie des villes. Ce phénomène n’est ni nouveau, ni propre aux PED, mais c’est son ampleur qui est sans commune mesure.

Le faible nombre d’emplois industriels dans les villes des PED tranche avec l’hypertrophie du tertiaire qui s’explique notamment par un poids important d’emplois publics. C’est encore plus vrai dans les pays communistes comme la Chine. Ces activités nécessitent beaucoup de ressources qui font pourtant défaut dans les autres secteurs économiques. Elles sont en partie à l’origine de la corruption et de l’existence de nombreuses activités informelles.

7 - La mutation des entreprises

Même si l’industrialisation du début du 19ème siècle marque le passage de l’atelier à l’usine, on assiste d’abord, lors de la première révolution industrielle, à l’émergence de petites entreprises familiales dans le secteur textile. Puis le développement du chemin de fer et des industries lourdes de la seconde révolution industrielle vont nécessiter la mobilisation de capitaux importants et l’embauche de nombreux salariés dans des unités de production conséquentes afin de réaliser des économies d’échelle. Le statut juridique des entreprises évolue également: il y a moins d’entreprises industrielles familiales et davantage de sociétés. Avec le développement de ces grandes entreprises, les méthodes de gestion des entreprises vont être rationalisées. L’organisation scientifique du travail (OST) développée par FW Taylor dès 1890 marquera durablement le monde de l’entreprise.

A l’inverse de la stratégie d’intégration verticale qui caractérisa le capitalisme industriel jusque dans les années 1970, on assiste à partir des années 1980 à un mouvement d’externalisation des fonctions supports, des approvisionnements et de la commercialisation des produits. Cette tendance est favorisée par la croissance des investissements directs à l’étranger (IDE) et elle est à l’origine du développement de la décomposition internationale des processus productifs (DIPP).

Dès la fin du 19ème siècle apparaissent les premières firmes multinationales (General Electric, Siemens, Saint-Gobain...) qui vont s’implanter progressivement sur des territoires différents pour s’approvisionner en matières premières, pour produire ou pour commercialiser leurs produits. Le poids de ces firmes multinationales (FMN) est désormais gigantesque: le chiffre d’affaires cumulé des 500 plus grandes dans le monde dépasse les 30 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB des Etats-Unis et de l’Union Européenne réunis. Les FMN ne proviennent plus exclusivement des pays avancés. Il y avait dans le classement 2013 de la revue Fortune des 100 plus grandes firmes par leur chiffre d’affaires 18 entreprises de pays en développement dont 12 chinoises.

8 - La baisse des coûts et du temps de transport

Grâce à de nombreuses innovations (le chemin de fer à partir de 1825 ou le bateau à vapeur) ainsi qu’à l’amélioration et au développement du réseau de transport, les prix et le temps de transport vont fortement chuter. Entre 1800 et 1910, Paul Bairoch estime que le coût moyen de transport a été divisé par 10. Ces progrès favorisent les échanges intérieurs et internationaux. Après la 1ère guerre mondiale, le transport automobile se développe et des lignes aériennes sont ouvertes. Le porte-conteneurs dont la première ligne commerciale importante démarre en 1968 entre les Etats-Unis et l’Europe va jouer un rôle essentiel dans le développement du commerce international.

9 - Emergence d’une classe ouvrière et de la protection sociale

La montée en puissance des secteurs secondaire et tertiaire s’accompagnent d’un changement profond dans la nature des emplois avec le déclin des travailleurs indépendants (paysans, artisans-commerçants) et la croissance du salariat. Le développement du salariat va contribuer à la formation d’une classe ouvrière qui va progressivement s’organiser. Elle obtient à partir du milieu du 19ème siècle par la lutte mais aussi sous la pression d’une élite éclairée libérale une amélioration des conditions de travail et un début de protection sociale.

Autorisés à partir de 1824 au Royaume-Uni et le milieu des années 1860 en Europe continentale (1864 en France, 1865 en Allemagne), les syndicats vont connaître une forte croissance quelques années avant 1914. Près d’un ouvrier sur six est ainsi syndiqué dans les pays européens hors Russie. Les taux de syndicalisation progresseront de nouveau à partir des années 1930 jusqu’au début des années 1970. Depuis, le taux de syndicalisation a reculé dans la plupart des pays. Si les pays scandinaves n’ont pas vraiment connu de baisse, elle a été importante dans certains pays comme l’Espagne, les Pays-Bas, les Etats-Unis et surtout la France. Il était en moyenne de 37 % dans les pays de l’OCDE en 1975 et il n’est plus que de 17 % aujourd’hui ; il est même inférieur à 8 % en France.

Les premières lois sociales vont d’abord concerner le travail des enfants. Inspiré par le Peel’s Factory Act de 1802, le Factory Act adopté en Grande Bretagne en 1833 représente la première loi sociale moderne. Elle interdit le travail des enfants de moins de 9 ans et limite la durée de travail des enfants de 9 à 13 ans à 48h par semaine et des plus de 14 ans à 69h. Rapidement d’autres pays adoptèrent une législation de ce type. Ce fut le cas en France dès 1830, mais c’est surtout à partir de 1841 que des lois réglementant le travail des enfants sont adoptées.

A la fin du 19ème siècle, le chancelier de l’Allemagne Bismarck entreprend la mise en place d’un système d’assurances sociales. Une caisse d'assurance maladie est instaurée en 1883, ainsi qu’un mécanisme de prise en charge par les organisations patronales des soins médicaux en cas d'accident du travail. En 1891 est institué un régime d'assurance invalidité-vieillesse. A la veille de la seconde guerre mondiale, presque tous les pays développés ont un système de protection sociale plus ou moins poussé.

Après la seconde guerre mondiale, le Royaume-Uni adopte, sous l’impulsion de William Beveridge, un système de protection sociale complet. Son instauration, qui implique une augmentation des dépenses sociales de l’Etat, ainsi qu’une plus grande intervention de l’Etat pour réguler l’activité économique donnent naissance à ce que l’on qualifie d’Etat Providence. Progressivement, tous les pays vont suivre cette voie. La croissance des dépenses publiques de protection sociale va être importante, avec des différences plus ou moins marquées selon si les pays ont opté pour un modèle de sécurité sociale totalement public ou pas. En 2013, elles s’élevaient à 21,9% en moyenne dans les pays de l’OCDE et c’est en France qu’elles sont au niveau le plus élevé à 33 % du PIB.

Depuis le retour des idées libérales dans les années 1980 (gouvernement de M. Thatcher au Royaume-Uni à partir de 1979, président R. Reagan aux Etats-Unis en 1980), l’Etat providence est critiqué. La crise est triple (P. Rosanvallon): son efficacité est remise en question (crise d’efficacité), la légitimité de l’intervention de l’Etat est discutée (crise de légitimité) et les dépenses ne cessent de croître (crise de financement).

10 - Du protectionnisme au libre-échange

Au cours de la période 1815-1914, en dehors du Royaume-Uni et des Pays-Bas ainsi que des pays en développement, le libre-échange ne s’imposa dans les pays développés qu’en Europe et durant un bref intermède entre 1860 et 1879. Après la première guerre mondiale et jusqu’à la crise de 1929, le commerce des pays développés n’est pas marqué par une nouvelle vague de libéralisation, ni par une intensification du protectionnisme. La crise change la donne. Dès juin 1930, les Etats-Unis décident d’accroître fortement leurs tarifs douaniers et les pays européens feront de même par la suite.

Avec les accords du GATT en 1947 (devenus l’OMC depuis 1995), les droits de douane sur les produits manufacturés vont passer de 40 % en moyenne en 1947 à moins de 5 % aujourd’hui. Ce mouvement de libéralisation des échanges qualifié de seconde mondialisation (après celle de la fin du 19ème siècle) connaît depuis quelques années un ralentissement. La montée d’un protectionnisme non tarifaire (quotas, normes de qualité…) et l’échec du cycle de négociation de Doha initié par l’OMC en 2001 (cycle officiellement clôturé fin 2013) marquent en effet un arrêt dans le processus multilatéral de libéralisation des échanges.

Au 19ème siècle, les pays en développement ont une législation libre-échangiste imposée par les puissances industrielles. D’un côté les colonies devaient laisser passer les marchandises en provenance des métropoles (commerce captif), de l’autre les pays indépendants avaient été contraints de signer des traités de commerce supprimant la majeure partie des droits de douane à l’importation (commerce forcé). Ces traités de commerce inégaux furent essentiellement signés au départ par le Royaume-Uni au cours de la première moitié du 19ème siècle. Ils concernaient notamment les pays d’Amérique latine, l’Empire ottoman, la Chine et la Thaïlande.

A partir des années 1880 et jusqu’au début des années 1950, la part des pays en développement dans les échanges mondiaux va s’accroître légèrement. Les exportations de ces pays portent essentiellement sur des produits tropicaux et des matières premières. Au cours de cette période la balance commerciale de ces pays pris dans leur ensemble est excédentaire à l’égard des pays développés, puis celle-ci va se dégrader. Si elle demeure excédentaire dans les pays exportateurs de pétrole, un déficit va apparaître puis se creuser dans les autres PED. A partir des années 1980, la croissance continue des exportations de produits manufacturés va modifier la situation des pays en développement dans le commerce mondial dans un contexte où presque tous les pays ont désormais pour objectif de s’insérer pleinement dans le commerce international alors, alors que certains pays (pays socialistes ou ceux qui s’en inspiraient) avaient érigé des mesures protectionnistes après-guerre ou au moment de leur indépendance. Les produits manufacturés qui ne représentaient que 10 % des exportations des PED au milieu des années 1950 pèsent désormais plus de 75 %. Toutefois les disparités demeurent importantes entre la Chine (94%) et l’Afrique subsaharienne (26%).

Au 19ème et au 20ème siècle, le poids des pays en développement dans le commerce mondial est resté faible. Les PED représentaient 15 à 20 % des échanges mondiaux selon les périodes. La triade (Europe, Amérique du Nord et Japon) dominait largement le commerce mondial. Depuis les années 1990, les échanges des PED augmentent à un rythme très rapide. Les PED qui n’étaient à l’origine que de 20 % des exportations mondiales en 1990 en représentent désormais 37 %.

11 - De la production à la consommation: le rôle croissant de la distribution

La hausse du niveau de vie, la progression de la population urbaine et la baisse de l’autoconsommation conduisent à une augmentation de la masse des produits qui passent par les circuits du marché. Entre 1840 et 1913, le nombre de travailleurs dans le commerce est multiplié par 7 en Europe. Dès le milieu du 19ème siècle on assiste à des bouleversements dans la distribution. Le Bon Marché à Paris est le premier grand magasin à ouvrir en 1852 et il en sera de même dans les autres villes du monde occidental dans les décennies suivantes. Parallèlement à ces magasins, des coopératives de distribution se développent et comptent dans les années 1920 en Europe (hors Russie) jusqu’à 12 millions de membres, soit un ménage sur six. La première chaîne de magasin voit le jour à New-York en 1859. La réduction des marges de la distribution que permettent les centrales d’achats va favoriser l’extension de la consommation et, en amont, inciter les entreprises à produire en série. Au début du 20ème siècle, les premiers magasins en libre-service fleurissent aux Etats-Unis, puis, après la seconde guerre mondiale, le modèle des supermarchés et des chaines de magasin est importé en Europe. Au début des années 1960 les premiers hypermarchés centrés sur l’alimentaire verront le jour en France. Les gains de productivité dans la logistique réalisés au tournant du 21ème siècle grâce à internet (chez Walmart par ex), puis le développement de la vente en ligne (e-commerce) sont à l’origine de nombreux bouleversements dans les secteurs de la vente et de la distribution. Amazon ou e-Bay font désormais partie des 100 plus grosses capitalisations boursières dans le monde.

12 - Monétarisation des économies et constitution d’un système bancaire moderne

Avec le développement du mode de vie urbain, des spécialisations professionnelles et des échanges commerciaux, la monnaie joue un rôle croissant dans les économies des futurs pays développés. Le 19ème est le siècle de la monétarisation des économies. Il est aussi celui de la formation d’un système bancaire moderne. Dans la société traditionnelle européenne, les banques ne jouaient un rôle que pour les grands marchands, les classes aisées ou l’Etat. Avec le développement industriel, elles vont orienter leur métier vers le financement des activités économiques, notamment à long terme. Alors que les pays européens se dotent de banques centrales (1826 en Angleterre, 1848 en France), deux modèles de banques de second rang se développent: les banques d’affaires d’une part et les banques commerciales et mixtes d’autre part. Parmi les premières, il y a en Europe les banques Rothschild, Mendelssohn ou Lazard, et, aux Etats-Unis, la banque JP Morgan avant qu’elle ne devienne aussi une banque de dépôt. Ces banques familiales vont jouer un rôle important dans le financement des activités industrielles mais elles ne constitueront pas le modèle des grandes banques modernes qui sera plutôt celui des banques commerciales ou des banques mixtes. Les banques commerciales quant à elles collectent des dépôts, proposent des crédits et, dans le cas des banques mixtes, prennent également des participations au capital des entreprises. Ce modèle de banque mixte se développera notamment en Belgique et inspirera les banques allemandes comme la Deutsche Bank. En France, les frères Pereire créent sur ce modèle le Crédit mobilier pour favoriser l’expansion du chemin de fer et de l’industrie lourde. Sa faillite en 1867 renforce en France l’idée de séparer les banques de dépôts des banques d’affaires. Les principales banques de dépôts sont créées dans les années 1860-70: CIC (1859), Société Générale (1864) et Crédit Lyonnais (1863).

La bancarisation de la vie économique est tardive. Jusqu’aux années 1960-1970, rares sont les ménages appartenant à la classe ouvrière qui utilisent les services d’une banque. Par contre, le nombre de comptes ouverts dans les caisses d’épargne est important. Dès 1900, chaque ménage français possède un livret de caisse d’épargne.

13 - La massification de l’enseignement

Entre 1870 et 1914, tous les pays développés vont rendre obligatoire et gratuit l’enseignement primaire pour les garçons et les filles. Parfois ces lois ne font qu’entériner une réalité, comme en France où le taux de scolarisation dans le primaire est déjà de 77% quand la loi de 1881 est adoptée. Les enseignements techniques, secondaires et universitaires vont également se développer au 19ème siècle même si leur véritable essor se fera après la seconde guerre mondiale. Selon P. Bairoch, le taux de scolarisation dans le secondaire en Europe (hors Russie) des enfants de 10 à 19 ans serait passé d’environ 1% en 1840 à 5% en 1913. La situation aux Etats-Unis est particulière : en 1910, 17% des américains âgés de 17 ans sont diplômés de l’enseignement secondaire et plus de 5 % des 18-21 ans poursuivent des études à l’université. Après la seconde guerre mondiale et surtout à partir des années 1960, on assiste à un phénomène de massification de l’enseignement secondaire. En France ¼ des enfants d’une génération obtiennent le baccalauréat en 1980 contre presque ¾ en 2013 (Insee) tous baccalauréats confondus (généraux, technologiques et professionnels) et la moitié d’une génération accède à l’enseignement supérieur.

14 - La transformation des cycles économiques

Grâce au progrès technique dans l’agriculture et les moyens de transport, les pays ne connaissent plus, dès le milieu du 19ème siècle, de fluctuations aussi importantes qu’autrefois des rendements agricoles suite à des aléas climatiques, ce qui conduit à la disparition des famines périodiques. Avec le développement industriel, de nouveaux cycles économiques font par contre leur apparition: cycles Juglar, cycles Kitchin et cycles Kondratiev.

15 - L’évolution du rôle des femmes dans la population active

Dans une société principalement rurale composée de paysans, les femmes travaillent autant que les hommes. Nombreuses sont celles qui exercent par ailleurs une activité artisanale ou industrielle dans le cadre du Putting out system qui est le modèle de production le plus fréquent au début de la révolution industrielle. Avec le développement du salariat, hommes et femmes se mettent à travailler en dehors du foyer. Avec l’augmentation des salaires réels, la proportion de « femmes au foyer » augmente et elle demeure élevée jusqu’à la fin des années 1960. Ce modèle de division sexuelle du travail est donc en partie une invention du 19ème siècle. Durant la fin du 19ème siècle et la première moitié du 20ème siècle, le taux d’activité des femmes âgées de 15 à 64 ans est relativement stable en Europe occidentale aux alentours de 36 %. Mais ce chiffre est à relativiser car il ne prend pas en compte les femmes qui travaillent aux côtés de leurs maris, alors que le secteur primaire représente 30% des actifs en 1945.

A partir de la fin des années 1960, les nouvelles générations de femmes investissent massivement le monde salarié et le modèle de la femme au foyer commence à ne plus devenir la norme. Si l’évolution est récente, elle doit être inscrite dans le long chemin de la reconnaissance des femmes pour des droits égaux à ceux des hommes. En France, les femmes mariées obtiennent le droit de percevoir librement un salaire en 1907. Ce n’est qu’en 1965 que le législateur leurs accorde le droit de travailler sans autorisation préalable de leur mari et en 1968 qu’elles pourront disposer d’un chéquier personnel sans non plus avoir à demander l’accord de leur mari. Aujourd’hui le taux d’activité des femmes de 15 à 64 ans est de 67,4 %, proche de celui des hommes (75,1%). Les femmes représentent désormais 48 % de la population active. Ces taux sont parmi les plus élevés des pays développés. Mais ce modèle de la femme active est aussi celui de la double journée car elles continuent d’assurer encore la majorité des tâches domestiques.

 

Conclusion: un monde en perpétuelle mutation

La révolution industrielle et l’augmentation significative et durable de la production par habitant de la Grande-Bretagne puis des autres pays européens, de l’Amérique du Nord, du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, constituent une rupture historique majeure. L’augmentation du niveau de vie de ces pays va engendrer des changements structurels profonds qui vont progressivement se diffuser à l’ensemble de la planète au cours du 20ème siècle, plus particulièrement depuis une trentaine d’années dans de nombreux pays en développement. Augmentation de la population, de l’espérance de vie, du niveau de vie, modification des modes de vie, tous ces bouleversements marquent le passage d’une société traditionnelle qui n’avait que peu changée dans ses structures depuis l’Antiquité à une société industrielle et même post-industrielle.

Nous avons tenté de mettre en exergue les principaux changements économiques et sociaux de ces deux derniers siècles. Il convient d’y associer d’autres tendances: évolution des formes de la famille, financiarisation des économies, évolution des inégalités, transformation des mouvements sociaux, réduction du temps de travail et développement d’une société de loisir, changement du rôle de l’Etat, passage d’une économie reposant sur les énergies renouvelables (bois, eau, vent) à une économie reposant sur les énergies fossiles avec la question récente de la transition énergétique, changement des régimes de change et évolution de l’inflation…

Nous n’avons pas mis l’accent sur les changements et les déterminants culturels, pourtant ceux-ci sont au moins aussi importants que les phénomènes économiques et sociaux: la place croissante de la pensée rationnelle et scientifique (la rationalisation des activités sociales et le désenchantement du monde décrits par Max Weber), la montée de l’individualisme (doctrine qui fait de l’individu le fondement de la société et des valeurs morales, émancipation des individus de la pression des institutions collectives), le retour de la question religieuse depuis la fin du 20ème siècle, la domination de la langue anglaise et de la culture anglo-saxonne, la diffusion rapide de l’information du télégraphe à internet, l’égalisation des conditions (A . de Tocqueville, avec notamment les progrès de l’égalité en droit et de l’égalité en dignité), l’évolution des idées racistes et ethnocentristes…

Pour se faire une vision plus juste de ces changements, il faut «également avoir à l’esprit les évolutions géopolitiques qui s’inscrivent toujours dans le temps long (colonisation au 19ème et décolonisation au 20ème, guerres mondiales, guerre-froide de la seconde partie du 20ème siècle, montée en puissance de la Chine, évolution vers un monde multipolaire ou a-polaire, progression du régime démocratique dans le monde,…), ni les transformations institutionnelles (exemples depuis la seconde moitié du 20ème siècle: création de l’ONU, accords de Bretton Woods, du Gatt puis de l’OMC, construction européenne, séparation des pouvoirs, recul de l’autorité traditionnelle et dans une moindre mesure de l’autorité charismatique au profit de l’autorité rationnelle-légale selon Max Weber, prise en en compte croissante des libertés civiles et des droits civiques …).

Nous avions vu en introduction que P. Bairoch considère le 19ème siècle comme un siècle charnière entre le monde traditionnel et le monde actuel. Il ne faudrait toutefois pas considérer que les structures économiques et sociales tendraient vers une certaine « lenteur » comme ce fut à peu près le cas dans le monde préindustriel: en fait, il semble que la rupture du 19ème siècle marque aussi le passage d’un monde qui change peu à un monde en perpétuelle mutation (JA Schumpeter identifie d’ailleurs capitalisme et évolutions économiques provoquées par les innovations). La croissance fulgurante des pays émergents, le développement des NTIC, la mondialisation et ses résistances, le changement climatique… sont autant d’éléments qui nous permettent raisonnablement de penser que le monde à la fin de ce siècle sera bien différent du monde actuel.