Les fondements de l'économie

Les grands auteurs

Adam Smith (1723-1790, Ecosse) :

Cet économiste est aussi (et peut-être avant tout) un professeur de morale, donc un philosophe. Mais très fortement influencé par d’autres économistes (les physiocrates, David Hume, John Locke…), il va proposer le premier grand livre « classique », au sens où il va fonder un courant.

Il évoquera, au travers de la métaphore de la « main invisible », l’idée que le marché conduit à la meilleure situation possible : en laissant les individus libres, et donc en les laissant assurer leurs propres intérêts particuliers, le marché guide vers l’intérêt général, et donc parvient à la meilleure des situations possibles. Même s’il défend la régulation marchande et la liberté d’agir, il prend également beaucoup de recul et justifie dans certaines conditions une intervention publique forte.

Ses principales théories connues concernent notamment la division du travail, par laquelle il montre que la spécialisation permet de gagner en efficacité et est donc source de croissance. Il élargira cette réflexion pour l’adapter au commerce international, en justifiant que le libre-échange, en favorisant la spécialisation, peut engendrer de la croissance.

Recherches sur les causes et la nature de la richesse des nations (1776).

 

David Ricardo (1772-1823, Grande-Bretagne) :

Bien qu’il n’ait pas été formé à l’économie, il participera très fortement aux débats intellectuels de son époque, en se plaçant dans l’héritage de Smith, et en influençant de nombreux autres économistes par la suite.

Sa très grande rigueur l’amènera à proposer toujours de petits modèles explicatifs, qui resteront une des marques de fabrique des économistes, en simplifiant les hypothèses (parfois à l’extrême).

Il défendra à son époque l’industrie britannique, notamment en prônant le libre-échange. Ce parti-pris trouve son origine dans la poursuite de la théorie smithienne de la spécialisation. Cela le conduira à s’opposer à Malthus, qui lui défendra une économie davantage tournée vers l’agriculture. Il estimait que chaque pays devait se spécialiser dans les secteurs pour lesquels il possède la meilleure productivité relativement aux autres pays.

En reprenant deux éléments de réflexion de Smith qu’il va approfondir, il propose deux théories qui auront des postérités inégales. Il va ainsi construire toute une théorie élaborée montrant que la valeur a pour fondement le travail. Elle va inspirer grandement Karl Marx. Mais cette théorie est aujourd’hui relativement obsolète, car elle recèle une erreur de raisonnement funeste, erreur que Ricardo avait pourtant lui-même décelée. La deuxième théorie, même si elle trouve son origine chez Turgot, va être popularisée chez Ricardo, la théorie des rendements décroissants. Il s’agit de montrer que la terre (comme facteur de production) a des rendements de plus en plus faibles, lorsque l’on cultive de nouvelles terres, moins fertiles. Cette analyse sera par la suite élargie aux autres facteurs de production, mais également à l’ensemble de la combinaison productive (on parle alors de rendements d’échelle).

Il utilisera cette dernière théorie pour réfléchir aux liens entre démographie et économie, dans un débat animé avec Malthus : lorsque la population augmente, il faut mettre en culture de nouvelles terres. Mais comme elles sont moins productives, le coût de la subsistance augmente, si bien qu’une famille doit limiter son nombre d’enfants. Justement, c’est à ce propos que Ricardo introduit sa théorie du libre-échange : puisque la Grande-Bretagne ne peut produire de manière relativement productive du blé, autant qu’elle produise ce qu’elle sait faire, c’est-à-dire des produits industriels, pour les échanger contre le blé français, produit de manière plus efficace.

Essai sur l'influence des bas prix du blé sur les profits du capital (1815).

Des principes de l'économie politique et de l'impôt (1817)

 

Jean-Baptiste Say (1767-1832, France) :

Cet économiste classique adhère sans réserve à la logique de la main invisible, à laquelle il va adjoindre ce que l’on appelle la « loi des débouchés » (ou « loi de Say »), selon laquelle il ne peut y avoir des crises générales, dans la mesure ou tout ce qui est produit aboutit à des revenus distribués permettant d’acheter… ce qui a été produit. Moyennant quoi, l’offre et la demande sont égales au niveau global. Cela n’empêche pas des crises ponctuelles et sectorielles, mais rapidement éliminées grâce à la loi de l’offre et de la demande.

Say est probablement l’économiste classique le plus moderne : il ne limitait pas la production de richesses aux secteurs agricole et industriel, mais admettait que les services constituent également un secteur producteur. Par ailleurs, il n’adhère pas à la théorie de la valeur travail, mais il va au contraire amorcer une théorie de la valeur subjective (mais que l’on retrouve déjà en grande partie chez des économistes français plus anciens) : ce qui fait la valeur d’un bien ou d’un service, ce n’est pas la quantité de travail nécessaire à sa production, mais l’utilité qu’il procure à un individu. Il va donc à bien des égards proposer une vision nouvelle de l’économie. Il influencera d’ailleurs les économistes américains (qui étudierons au XIXe siècle l’économie au travers de son ouvrage le plus important), mais également (et surtout) les économistes du courant autrichien.

Traité d’économie politique (1803).

 

Robert Thomas Malthus (1766-1834, Grande-Bretagne) :

Robert Thomas Malthus était avant tout un pasteur anglican. Mais il s’intéressait également à l’économie, au point d’ailleurs de devenir célèbre. Sa formation joue un rôle sur ses positions théoriques, dans la mesure où elles sont souvent empreintes de considérations morales. Bien qu’il soit considéré comme un économiste classique (il adhère à l’idée selon laquelle la valeur trouve son fondement dans le travail), il va aussi développer des théories qui s’écartent de la logique classique.

En effet, s’il adhère à la théorie quantitative de la monnaie, comme les autres classiques, par contre il rejette la loi des débouchés, car il estime une crise généralisée possible, et même probable. Un déficit de demande peut très bien provoquer une crise de débouchés pour les producteurs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’oppose à Ricardo. Ce dernier souhaite favoriser l’industrie en Grande-Bretagne pour approfondir les avantages comparatifs britanniques. Mais Malthus estime nécessaire de défendre les intérêts des propriétaires fonciers, qui peuvent consommer grâce à leurs revenus importants, et donc soutenir la demande. Même si Keynes a rendu hommage à Malthus, il est avéré que ce dernier a fondé son raisonnement sur une erreur qui rend sa réflexion pour le moins très fragile.

Malthus se rendra très célèbre pour sa théorie démographique : puisque les rendements sont décroissants, la croissance démographique nécessite la mise en culture de nouvelles terres moins productives que celles déjà exploitées. Mais cela accroît le prix de la nourriture, ce qui empêche les familles de subvenir aux besoins de tous leurs enfants, et maintient une grande partie de la population dans la misère. Seule solution pour éviter cette misère, selon Malthus : mettre en place des mesures d’ordre moral qui limitent la croissance démographique (abstinence avant le mariage, mariage plus tardifs…).

Essai sur le principe de population (1798)

 

Karl Marx (1818-1883, Allemagne) :

Cet auteur prolifique est ici considéré comme un économiste, mais il s’intéressa aussi à la philosophie, l’histoire, le droit, et est considéré également comme un sociologue ou comme un politiste.

Il fut persuadé que l’histoire était gouvernée par des lois qu’il chercha à identifier. Depuis la vie en société, l’histoire se décline en grandes ères dominées par des modes de production à chaque fois spécifiques. Mais cela n’empêche pas l’Histoire d’avoir un sens. En effet, les modes de production se succèdent, chacun profitant d’une crise du précédent. En effet, chaque mode (mis à part le premier et le dernier) est marqué par la domination d’une classe sociale sur les autres. Ainsi, le mode de production capitaliste voit la domination des capitalistes sur les prolétaires. Les capitalistes cherchent à exploiter le travail de ces derniers, en s’en accaparant une partie (appelée plus-value). Mais la concurrence entre les capitalistes les conduit toujours plus à intensifier cette exploitation, le tout conduisant inéluctablement à une crise du capitalisme.

Mais les prolétaires ne sont pas inactifs, puisque la domination subie les conduit à entrer en révolution pour transformer la société et échapper au capitalisme et à l’exploitation. C’est ainsi que cette révolution doit permettre, à long terme, d’aboutir aux deux derniers modes de production, le communisme puis le socialisme, marqués par la propriété collective des moyens de production, l’absence de l’Etat et de la monnaie.

S’il est bien évident que la théorie de Marx peut, à bien des égards, sembler obsolète, il serait dommage, voire dangereux de jeter le bébé avec l’eau du bain : des éléments de la théorie de Marx restent parfaitement intéressants pour comprendre l’évolution de la société et certains phénomènes économiques, comme la stratification sociale ou les crises du capitalisme.

Manifeste du Parti Communiste (1848) (avec Friedrich Engels)

Critique de l’économie politique (1859)

Le Capital (1867)

 

John Maynard Keynes (1883-1946, Grande-Bretagne) :

John Maynard Keynes était déjà un économiste reconnu avant la Grande Dépression. Mais « grâce » à celle-ci, il deviendra probablement un des plus grands – si ce n’est le plus grand – économistes au monde. En effet, de formation néoclassique (ses professeurs sont Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou), il va remettre en cause tout ce qu’il a pu apprendre à la faveur de la crise. En effet, il estime la théorie néoclassique en échec, car incapable de prévoir, d’expliquer et de résoudre la grave dépression dans laquelle le monde s’enfonce.

Il va donc proposer un nouveau paradigme, qui donnera lieu à la Révolution keynésienne, et qui dominera la pensée, la formation et les pratiques des élites politiques et économiques jusqu’aux années 1970 (même si parfois il y a une distance assez grande entre ce que Keynes enseignait, et ce que l’on applique).

Si Keynes veut maintenir l’économie de marché, il constate que, malgré tout, le marché n’est pas systématiquement autorégulateur. Il s’oppose donc fermement à l’idée de « main invisible », et aux théories telles que la « loi des débouchés » ou « la théorie quantitative de la monnaie ». Il existe des moments où des vagues de pessimisme sont tellement fortes (et notamment avec la crise de 1929 par exemple), que l’offre et la demande ne sont pas équilibrées, et qu’au contraire, au lieu de s’autoréguler, des forces empêchent le rééquilibrage habituel, et voire pire, accentuent le déséquilibre. En effet, les chefs d’entreprise et les consommateurs peuvent être tellement pessimistes vis-à-vis de l’avenir, qu’ils réduisent leurs investissements et leur consommation. Mais alors, la demande devient insuffisante pour assurer des débouchés à la production. Moyennant quoi, les chefs d’entreprise réduisent encore plus leurs investissements, et les licenciements poussent les consommateurs à épargner plutôt que de consommer. Un cercle vicieux s’enclenche.

La solution, pour Keynes, ne peut venir que des pouvoirs publics, puisque le marché est impuissant. Ils doivent se substituer aux autres acteurs, en favorisant la demande par des politiques conjoncturelles.

Si la théorie de Keynes a été critiquée, il n’empêche qu’elle a fortement influencé les économistes et les politiques économiques menées, et rares sont les gouvernements ou les économistes qui dénieraient la nécessité d’une intervention publique. Le débat aujourd’hui porte davantage sur le périmètre et les modalités de cette intervention publique.

Les conséquences économiques de la paix (1919)

Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936)

 

Irving Fisher (1867-1947, Etats-Unis) :

Cet économiste américain fut un spécialiste important des questions monétaires.

Il a d’une part retravaillé la théorie quantitative de la monnaie à partir de ce que l’on appelle l’équation des transactions. Il a construit des hypothèses (en partie néoclassiques) pour justifier que l’inflation avait une origine monétaire. Ce faisant, il a participé à la modernisation de cette théorie ancienne de la neutralité de la monnaie.

Malgré cette contribution importante, il va relativiser par la suite cette idée de neutralité de la monnaie, à la faveur de la Grande Dépression : il va montrer que la déflation (qui se développe durant les années 1930) augmente la valeur des dettes, et favorise donc les faillites d’entreprise. Pour éviter la faillite et vendre davantage, les entreprises baissent leurs prix, mais alimentent donc d’autant la déflation, ce qui accroît le problème plutôt que de la résoudre. C’est ce que l’on appelle la « déflation par la dette ». Mais cette théorie montre bien que la monnaie n’est pas neutre en réalité.

Le pouvoir d’achat de la monnaie (1911)

« The Debt Deflation Theory of Great Depressions », Econometrica (1933)

 

Milton Friedman (1912-2006, Etats-Unis) :

Friedman est un des plus grands économistes du XXe siècle. Il n’aura de cesse de combattre la théorie keynésienne. Mais ce faisant, il participera aussi activement à un renouvellement théorique massif de la pensée néoclassique. A partir des années 1970, alors que le paradigme keynésien s’essouffle, sa pensée est de plus en plus reconnue, et les politiques économiques adoptent de plus en plus ses préceptes. Cela donnera lieu à l’émergence du monétarisme, courant néoclassique important.

Son tour de force est de réutiliser certains concepts keynésiens, mais pour les réinterpréter dans le cadre néoclassique. Il en va ainsi des anticipations extrapolatives (ou conventions) chez Keynes, qui deviennent des anticipations adaptatives chez Friedman. A partir de là, il va contribuer à construire des outils critiques vis-à-vis de l’action publique, notamment les politiques conjoncturelles, qu’elles soient budgétaires ou monétaires. Cela lui permettra par ailleurs de redorer le blason de la « loi des débouchés » et de la « théorie quantitative de la monnaie » que Keynes avait fortement remis en cause.

Ce faisant, il estime nécessaire de « geler » la politique monétaire, de façon à ce que la création monétaire ne soit plus contrôlée par le pouvoir politique. Il ouvrira la voie à des mesures importantes : indépendance de la banque centrale, objectifs de politique monétaire transparents notamment (donc l’adoption de règles de politiques économiques, et notamment monétaires).

A Theory of the Consumption Function (1957)

« The Role of the Monetary Policy », American Economic Review (1968)